Après avoir écouté par hasard le titre The Red Telephone je me suis senti une attirance étrange vers cet album. Il faut dire que cette chanson est complètement envoutante et hallucinogène. Encore aujourd'hui, plusieurs années après ma découverte, il m'arrive de m'allonger sur mon lit et d'écouter cette chanson en contemplant le plafond tournoyant au-dessus moi. Pas besoin de drogues, The Red Telephone, et Forevers Changes au complet est un psychotrope bien assez puissant.
Et c'est encore plus que ça. C'est une immersion dans l'esprit torturé d'Arthur Lee. Victime d'une crise identitaire, moitié blanc / moitié noir, Arthur Lee est un esprit profondément mélancolique et une vision du monde très pessimiste. C'est dans les pots fêlés qu'on fait les meilleurs poètes. Sa qualité d'écriture surpasse celle de tous ses contemporains, éventuellement mis à part les Beatles ou les Moody Blues, je suis ouvert au débat. Si on prend le texte de "Maybe the People Would Be the Time or Between Clark and Hilldale" on est face à de la poésie de grande qualité, où chaque vers et chaque strophe continue le précédent (oui à ce niveau là on peut parler de vers et de strophe). Lee maitrise aussi l'art de la métaphore et du double sens. On peut d'ailleurs trouver plusieurs interprétation à "The Red Telephone" ou "You Set the Scene".
Prenons la première, plus connu. Beaucoup y voit le récit halluciné d'un soldat en service au Vietnam, parce que Lee parle de mort : "Sitting on my hillside, watching all the people die". La colline c'est Hollywood, où Love s'est retiré pour écrire Forever Changes. Surplombant Los Angeles, Lee observe les gens vivre, mais dans son esprit vivre c'est aussi mourir. J'aimerais beaucoup développer cette interprétation mais j'ai encore plein de chose à dire.
Quelques mots sur "You Set the Scene", qui est pour moi une des meilleurs chansons de tout les temps, pas moins. Il s'agit du récit semi-autobiographique d'un homme perdu, tiraillé par des choix cornéliens : "There is a man who can't decide if he should fight for what his father thinks is right". Cet homme choisis le suicide : "this is the time and life that i am leaving". Cependant n'étant pas sûr de son choix, la chanson se termine sur une résolution inachevé et une note d'espoir.
Je pourrais m'étendre sur "The Daily Planet" qui aurait pu servir de bande son au film Un Jour Sans Fin, ou de "Live and Let Live" un vibrant plaidoyer pour la tolérance et la paix qui utilise notamment l'exemple de l'absurdité des guerre indiennes, mais je vous laisse vous démerder.
Musicalement l'harmonie est parfaite. Le psychédélisme de certaines guitares et percussions est dilué dans les trompettes des mariachis et les cordes de l'orchestre symphonique. Un mélange des genres unique qui fait que Forevers Changes est aussi agréable à écouter sans se soucier des paroles pleines de sens. Les titres entrainants comme "Alone Again Or" et "Maybe the People Would Be the Time Between Clark and Hilldale" tranche avec les plus sombres "The Red Telephone" ou "And More Again" . En passant par le puissant "Live and Let Live", et la chanson pleine de doux optimisme "The Good Humor Man He Sees Everything Like This".
Bien plus que Surrealistic Pillow ou Sargent Pepper, Forevers Changes est l'album qui m'a fait voir toute la force du rock psychédélique, bien qu'il soit loin d'être présent ici dans sa forme la plus pur. Sargent Pepper a surpassé Pets Sound, Forevers Changes a surpassé Sargent Pepper. Le meilleur album de tout les temps le voilà.