En ces temps où ne semblent plus trouver grâce aux oreilles du public que la violence et le bruit, un prince demeure, imperméable à la folie ambiante.
Il fait ce qu'il a à faire et le fait bien. J'oserais dire qu'il le fait de mieux en mieux.
Une œuvre n'est jamais indifférente à celui qui l'a fait naître. Souvent, lorsque j'aime une musique, je me rend compte que je nourris une certaine empathie avec l'artiste.
C'est le cas ici. Neil Hannon, prince donc, régnant seul, a tout l'air d'un homme sympathique, à fleur de peau, brillant, cultivant la dérision, intelligent, drôle et aussi … infiniment touchant. Il en va ainsi de ce FOREVERLAND.
- S'ouvrant sur Napoleon Complex, il use de jolis instruments dorés pour nous ouvrir le cerveau. Et ça ne fait pas mal, ça fait même du bien. Napoléon est la victime toute trouvée, expiatoire et, surtout, un bel exemple de ce que notre propre cerveau peut engendrer de meilleur comme de pire.
Assis sur tout un tas de grelots rutilants, au son des cloches qu'on imagine portant des ailes d'ange, Napoléon rumine ses rêves de domination. Tragique lorsque l'on sait le nombre de morts qu'il a engendré. Ridicule lorsque l'on sait ses manies dérisoires. Mais magnifique et terriblement humain lorsque soudain, Neil Hannon lui redonne vie.
- Foreverland : comédie musicale à elle seule, cette chanson qui donne son nom à l'album est peut-être celle qui définit le mieux son auteur. Écoutez le bruit des vagues, le grincement des cordes, le cœur des hommes fatigués qui demandent au capitaine de renoncer, de rebrousser chemin. Mais ce capitaine est un enfant et, comme tous les enfants, il ne renonce pas. Neil Hannon est cet enfant et, malgré les brumes, son rêve prend vie. Ce rêve qu'il nous donne à voir.
- Comme en opposition à Napoléon, voici Catherine The Great. Ma culture en la matière s'arrête à ce qu'en dit Neil Hannon qui a dû lire beaucoup plus que moi à son sujet. Mais où Napoléon était petit, elle est grande, où il rêvait de puissance, elle avait la puissance .. mais ne l'utilisa qu'à contre cœur. On voit aussi, ici, combien Neil Hannon se tient en chevalier servant, tout prince qu'il soit. Agrémentant le palais de la grande Catherine de ses couleurs pop et chaleureuse, il lui confectionne un intérieur des plus précieux, d'émotion et de dorures.
- Neil Hannon aime sa femme. Si d'aucuns en doutaient, qu'ils ne doutent plus et écoutent Funny Peculiar. Ce duo avec Cathy, charmant, délicat, enjoué, respire la tendresse et vous ne pourrez retenir un sourire simple en l'écoutant. Vous mettrez peut-être plus de temps mais vous y viendrez et, comme moi, finirez par siffloter cet air.
- Neil Hannon, s'il cultive avec ou sans délicatesse les fleurs de la dérision, sait aussi être direct et penser ce qu'il dit. Même et surtout lorsque cela pourrait sembler naïf de croire que la paix, que le respect et l'amitié sont possibles. Il y croit, et nous le chante.
Sachant qu'elle signa des pactes d'importance qui menèrent à des paix plus ou moins durables, peut-être y a-t-il des réminiscences de Catherine de Great dans le propos de cette chanson. Ou bien Neil Hannon a-t-il tout simplement décider de réécrire l'histoire et de mettre un terme à la campagne de Russie avant que Napoléon s'y vautre avec le succès que l'on sait.
Je pense, de manière plus générale, que cette chanson est une proposition de paix. Et que Neil Hannon nous y accueille au rythme d'une valse joyeuse tout en signifiant que c'est bien un Pacte ! Et qu'ils nous engage.
J'y vois cela. Une chanson sur l'engagement réel à l'heure où plus rien ne dure. Cela peut aussi bien s'appliquer à 2 nations qu'à un homme et une femme. Une manière de dire que la vie est difficile, qu'un engagement demeure à jamais, cruel parfois, mais indéfectible et qu'il n'y a rien de plus beau. C'est personnel bien sûr mais, finalement, il se pourrait qu'elle soit la plus belle chanson de l’album.
- Et si ce n'est pas « The Pact », alors, c'est « To The Rescue ». il y a des chansons qui nous entrent dans le cœur à la première écoute.
D'abord, pour moi, il y a ce p... de rythme ! C'est un rythme qui nous soutient sans nous entraver. Comme un ami qui nous aide à marcher lorsque l'on ne va pas bien. Et puis, cet ami nous dit les mots du réconfort, cette mélodie qui vous emplit de chaleur. Puis ... le refrain « To The Rescue ».
The Pact était là pour l'annoncer. L'engagement indéfectible puis, maintenant : « tu as besoin de moi ? Et bien je suis là ».
« Il a un justicier qui dort dans son lit. Il cherchait Marylin et il a trouve le Che. Savez-vous que Neil parle de sa femme ? » Du cœur de sa femme qui tient un refuge pour animaux perdus, blessés.
Mais bien sûr, là encore, je veux voir le propos de Neil plus global.
Et c'est en vérité un album plein de tristesse et plein de promesses. Dans ce monde plus que cruel, est-il encore possible que le plus important soit l'entraide ! Je n'en sais rien. Mais Neil Hannon fait ce constat ou bien plutôt, au travers de divers exemple, pose cette question.
- Après tant de frissons et de questions graves, How can you leave me on my own ? tomberait-il comme un cheveu sur la soupe ? Non. Déjà, il nous permet de rire et de nous détendre un peu (je vous conseille le clip plein d'humour). Le braiment de l'âne annonce la farce. Mais une farce pleine de justesse et de vérité. Quel homme, livré à lui-même, peut honnêtement dire qu'il ne ressemble pas à ce «dickhead », à ce « brain-dead caveman » ?? De plus, quelle honnêteté ! Neil Hannon est un grand fan de Jacques Brel. Peut-être « How can you leave me on my own ? » est-elle sa version toute personnelle de « Ne me quitte pas ».
- Neil Hannon aime la langue française. A-t-il écrit cette chanson pour avoir le plaisir de prononcer « la légion étrangère » en français ? Je plaisante. Mais je repense à Jacques Brel et à son « Zangra ». Ici, l'harmonica nous plonge dans l'au-delà de la nostalgie où échouent ceux qui ont oublié pourquoi et où flamboie toute l'absurdité de la vie.
- Ce qui me marque avant tout dans cette « happy place », c'est le contraste entre les couplets et le refrain. Les couplets, durs comme le désespoir luisant sur le violon de l'asphalte, et le refrain, vers lequel on revient toujours, comme un petit cottage anglais décoré de banjos.
- « A desperate man » nous surprend, comme un train qu'on prend en marche, comme un road movie dont on aurait raté le début. L'urgence nous taraude. Et Neil ne nous laisse qu'à peine le temps de nous retourner. Le piano et les percussions nous poussent, le souffle coupé, sans permettre aucune pose. Une fuite éperdue.
- Quelques réflexions couchées sur un portable, probablement dans une chambre d'hôtel, comme pour essayer de se convaincre qu'on est pas jaloux. Minimaliste et si humaine.
- « The One who loves You » prend tout son sens à la fin de cet album qui parle de Cathy, la compagne de Neil Hannon, et de tout ce qu'il lui passe par la tête quand elle n'est pas là. Ce titre clos de la meilleur des façons un album où Neil nous livre l'intimité de ces pensées avec beaucoup d'honnêteté et de pudeur.
Il y a, dans cette dernière musique, la sensation que l'album s'achève. Mais que tout ce qui s'achève annonce un nouveau départ.
Foreverland est une alchimie. Au gré de ses pérégrinations musicales et littéraires, Neil Hannon lie la petite et la grande histoire. La petite, difficile ou amusante, saupoudrée de clins d’œil malicieux, et la grande, celle des costumes d'époque et des grands bouleversements qui déterminent nos quotidiens.
C'est un album vaste et intime, humain et doré. Les grands albums sont rares. Les chefs-d’œuvre plus encore. FOREVERLAND en est un.
Je n'ai pas parlé de « In May », second album présent dans la version Deluxe de Foreverland. Je le ferais sans doute plus tard. Sachez seulement qu'il s'agit d'un autre chef-d’œuvre.