The Irishman parle du vide ; ce vide dans le cœur des hommes qui, comme Franck Sheeran (Robert De Niro), ont passé leur vie à suivre les ordres sans se demander si une autre voie était possible et dont l’existence, que l'on rêve exaltante, n'est qu'un long pourrissement sur tige, de la routine à l'abstraction.
Qui d'autre qu'un maître comme Martin Scorsese, amoureux fou du cinéma, pouvait franchir le quatrième mur ?
Ils ont beau jouer des individus de la quarantaine, de la cinquantaine, on connaît tous l'âge des acteurs. Alors, leur démarche poussive que, sur le coup, j'avais trouvé gênante, voire douloureuse, m'est soudain apparu un trait de génie. Comme si Scorsese s'amusait à laisser visibles les fils de ses marionnettes aux yeux des spectateurs, pour mieux les imprégner de cette désillusion permanente et la leur faire partager.
Mieux que personne, Robert de Niro incarne un homme de main sans envergure. Même jeune, il est vieux, revenu de tout, sans surprise.
Rien ne se passe dans The Irishman. Pas un mot plus haut que l'autre. La colère, le désespoir, l'amour ? Cachés sous le tapis, rangés dans les tiroirs. La fatalité, l'obéissance à un code que les protagonistes voudraient croire « d'honneur » et qui n'est, somme toute, qu'un tissu de lâcheté, mènent le bal.
Seul Jimmy Hoffa (Al Pacino), parce qu'il croit en quelque chose, étincelle. Monstre d'orgueil possessif et corrompu, il n'en demeure pas moins naïf et touchant. Il le paiera de sa vie. L'ordre établi ne supporte pas les fauteurs de troubles, si charismatiques soient-ils.
The Irishman, c'est l'histoire captivante d'hommes ennuyeux. Les hommes de main de la mafia y sont dépeints comme les ouvriers qui se rendent à l'usine. Et l'on se prend à entrevoir la terrible vérité : Durer n'est pas vivre.
Tout de même, une once d'humanité existe peut-être ? Mais est-elle perceptible dans le regard de Franck croisant celui de Peggy, sa fille (Anna Paquin). On ne le saura jamais.