Si les années quatre-vingt symbolisent pour beaucoup le début d'une époque de libération autant émotionnelle que télévisuelle, pour ma part j'associe l'ouverture de la décennie à la montée du néolibéralisme.



Oui, je suis quelqu'un de très amusant en soirée.



Vous me parlez de disco-funk français, ou encore de "french boogie", moi je vous parle d'économie politique.



Reagan aurait certainement apprécié cette compilation témoignant de la percée du marché américain sur le territoire français. À entendre Jean-Edouard et son "À Mon Âge Déjà Fatigué", inaugurer le rap français en déclamant son admiration pour le Big Mac et les grosses voitures de son pays, notre cher Ronnie se féliciterait d'avoir su conquérir le cœur des français en montrant la vraie voie vers la satisfaction, à savoir la consommation décomplexée.



Fini les intellectuels névrosés des décennies précédentes, leurs analyses interminables, leurs leçons de morale démoralisantes. Il est l'heure désormais de retrouver le vrai goût des choses, de "profiter" (faire un profit) pleinement de la vie.



Pourquoi avons-nous attendus si longtemps pour célébrer ainsi le plaisir de sortir, danser, conquérir le cœur de femmes ? On n'est jamais trop sérieux quand on a vingt ans. Le champ infini des possibilités est trop vaste pour nos ambitions. Peut-être est-il plus simple de choisir la voie que nous traçent nos influenceurs d'alors. Munissons-nous de vêtements de marque pour choper "La Dégaine", et espérons repartir de la boîte avec une femelle conquise par notre étalage de style. De toute façon ces dernières n'attendent que ça, attendent même un peu trop, comme le dévoile cet étrange tube qu'est "La Fourmi", où une femme semble ravie d'être violée.



"Quelle merveilleuse aventure", effectivement, de consommer et de se laisser consommer. Voitures, chaînes hi-fi, femmes, finalement c'est du pareil au même quand ce qui compte c'est de donner à manger à nos dévorants désirs. Le disco est alors l'assemblage de choix pour accueillir ces idéaux, énième exemple d'une contre-culture finissant par devenir simplement culture, intégré au grand marché des produits.



Plusieurs ombres au tableau parsèment ce jardin des délices. Il y a d'abord Gérard Vincent, qui obtient le privilège d'avoir deux de ses titres sur la compilation. Ancien taulard reconverti en musicien énervé, il nous offre un des rares exemples de funk engagé et paranoïaque. Mais il y a surtout un certain parfum de tristesse qui flotte derrière ces sautillantes compositions. Faire la fête serait-il une échappatoire face à la déprimante réalité de nos existences ? Bibi Flash nous avait pourtant prévenus : si "ce soir on sort, on fait la fête", c'est surtout pour oublier que la vie est avant tout un enfer.



Plus qu'une France enflammée, c'est une France branchée. Branchée sur quoi, on ne sait pas trop, mais branchée tout de même, galvanisée par la joie de plaisirs plus ou moins nouveaux, plus ou moins bons pour la santé. On appréciera ce vent frais sur les ondes, jusqu'à ce que celui-ci se mette à nous refroidir, à nous figer dans une répétition de mêmes routines, métro-boulot-disco. L'échappatoire en est-elle vraiment une ?



Difficile de savoir si on pourrait refaire pareil aujourd'hui. La célébration de la nuit ne peut avoir le même goût après quatre décennies. Mais les graines du néolibéralisme ont été plantées. Désormais les titres à la radio ne cessent de célébrer le caractère compétitif de l'existence, comme si l'autre étant avant tout un obstacle, un concurrent auprès duquel il faudrait se démarquer, plutôt qu'un compagnon de galère qu'il convient d'apprivoiser, de rassurer. On est tous dans la merde, alors faisons la fête. Mais n'oublions pas d'où nous venons, la fête ne doit pas être une porte vers l'oubli.



Il y a tellement de trucs, je suis fatigué.

Mellow-Yellow
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le 23 nov. 2022

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