C'est peu dire que je l'ai usé jusqu'à la corde. En boucle qu'il tournait dans ma chaîne Hifi même. J'dois en connaître tous les recoins de ce disque, chaque scansions écorchées de Joe Strummer, chaque mélodies saturées, chaque vrombissement du public, chaque larsens. Tout m'est absolument familier. Faut dire que tomber là-dessus quand on a 14 ans, moi l'adolescent d'alors, sous perfusion de pop punk sucrée ricaine, ça fout un choc. On ne s'en remet pas si facilement.
La première écoute a été la bonne, vite que je l'ai troquée ma collection made in Bilboard pour aller voir ce qu'on faisait vers la fin des seventies. Quand le Punk battait le pavé du rock'n'roll, dégageant sans vergogne les papys embourgeoisés, devenus trop précautionneux pour violenter leurs instruments. Il fallait un bon coup de manche dans la fourmilière, The Clash et ses camarades sont alors arrivés. Voici mon humble retranscription de leur plus fameuse gueulante dans le mégaphone.
La guitare ouvre le bal, seule sur scène, mais pas pour longtemps, le beat de grosse caisse déboule et libère le riff sacré, le temps de quelques secondes pour bien se chauffer et c'est Joe Strummer qui apparaît, le micro haut, bien haut pour survoler la masse de bruit. Complete Control. La semonce est franche et donne le tempo de la pièce, on va faire dans le décibel et dans la précipitation. Londres brûle déjà, l'appel d'air s'est engouffré sur scène, embrasant de milles feux les amplis surchauffés. Et La tension ne baissera pas pour cette première partie, car The Clash alimente le show via leur premier brûlot, l'album éponyme sorti en 1977. What's my Name, Clash City Rockers et Career Opportunities s'enchaînent ainsi, fluidité chaotique qui laisse à peine le spectateur reprendre son souffle, tout étourdi de vapeur punk électrique. Histoire de s'amuser avec lui, The Clash baisse volontairement le tempo de quelques pulsations. (White Man) in Hammersmith Palais à l'humeur reggae, tempère les ardeurs et invite au déhanchement chaloupé. Tu te dis alors que tu es sur une piste plus dansante, que tu va pouvoir profiter sans jouer des coudes ... Pauvre naïf, Capital Radio se moque de ton avis et reprend la course effrénée. Ici, les radios établies en prennent pour leurs grades, elles qui ne diffusent que de la merde mainstream. Tu n'as pas le choix, le pogo ou la fuite. Mais avant même d'avoir pu tergiverser, The City of the Dead dresse ses remparts et clôt ce set lorgnant vers les débuts du groupe dans un petit solo déstructuré tellement brut, tellement Clash.
On passe à la période de l'album phare, briseur de guitare sur scène. Les toms percutent d'entrée, I Fought The Law est entonné à l'unisson, le temps des hymnes est arrivé. La chanson éponyme met tout le monde d'accord, t'a beau l'avoir écouter 1000 fois, en connaître chaque accords, London Calling prend une toute autre dimension sur scène, c'est à se demander si tu l'avais vraiment déjà écouté... De nouveau le virage à 180 degrés. On creuse encore plus le sillon reggae, Willi Williams, depuis sa Jamaïque balance le groove, The Clash le reprend au vol et smashe Armagideon Time, mix d'influences, l'atmosphère s'épaissit et tu es comme hypnotisé. Implacable. L'accalmie fut salvatrice; la batterie rompt le mid-tempo. Évidemment. Le rythme démarre, fonce, mais se voit rattraper par la gratte électrique, surprise, Mick Jones truste le micro de Joe, il gueule, s'époumone, Train in Vain fracasse tout sur sa ligne. Putain de train d'enfer. Orage de guitare, les cordes déchire l'horizon sous l'impulsion du tam-tam. Poudre explosive, The Guns of Brixton tire sa plus lourde salve, riff de basse pile entre les deux oreilles, il gronde avec précision et suspend ton être, la torpeur est si douce. Cap sur les îles, embarcation Sandinista! Melting pot d'épices, le rock débouche sur un graffiti rap calypso, cocktail affriolant que ce The Magnificent Seven, mais l'abordage périclite, retour sur le macadam. Voile noir et rues fliquées à l'horizon, Know Your Rights castagne dans le tas, pas de quartier dans le district du Combat Rock. Service public avec guitare, médiators comme arme blanche, la foule comme un seul homme, le poing levé, brandit sa fureur. Should i Stay or Should i Go, c'est tout décidé, un plus petit calibre FM pour mieux préparer l'ultime brandille. La fin est proche, juste le temps d'un aller simple. L'intro est martelée,carrée, infinie, solide fondation vers la montée au ciel. La guitare transperce alors le plafond, elle fluctue dans l'air, te charme, vient te cueillir, toi l'auditeur désormais sans défense, tu es la victime consentante de leurs ébats, éreinté mais heureux. Il est temps de partir. Le timbre rocailleux de Joe Strummer guide la dernière étape, Straight To Hell.
La stéréo s'estompe. Près de 15 ans plus tard, chaque particules de ce concert me procurent encore les mêmes émotions. La force est intacte. À tout jamais.
From Here to Eternity raconte The Clash dans ce qu'ils avaient de plus puissant, de plus viscéral, sans aucune fioritures ajoutées. Du rock à la moelle.
Entre 1978 et 1982, L'éternité sentait le souffre et bougeait les lignes. Ce live a su capter ces moments et nous les envoyer dans la gueule. Voici leur testament... with guitar!