GY!BE, c'est d'abord quatre années qui ont défini le post-rock qu'on allait entendre pendant les vingt prochaines: entre 97 et 2002 cinq œuvres entrent dans le panthéon du genre et éclipsent ce qui est venu avant. C'en est à se demander si le genre était accompli ou s'il a fallu qu'Efrim Menuck et consorts viennent dégommer les standards posés par Talk Talk, Slint et Bark Psychosis pour qu'on ait droit à la fameuse recette 'longue intro avec mots parlés>>long crescendo instrumental>>explosion au firmament>>longue outro revenant aux instruments à corde'.


Cette recette fatigante largement inventée par Godspeed You! Black Emperor puis repompée par des centaines de groupes moins talentueux (avec de rares exceptions comme The Evpatoria Report, Explosions In The Sky et chez la francophonie L'Effondras, Oiseaux-Tempête) est tellement devenue le symbole du post-rock qu'elle a grandement contribué à sa mort lente et douloureuse. C'est pour ça que vous ne trouverez plus d'album du genre au top des listes de l'année depuis longtemps.. bien que beaucoup des plus grands s'en inspirent et réussissent à mêler l'aspect 'wall-of-sound' à d'autres inspirations pour en faire des chefs d'œuvres modernes (Swans, Black Country New Road, Boris, Black Midi..).


Le groupe entame une hibernation frustrante entre 2002 et 2012, non sans que ses membres soient actifs ailleurs - Efrim Menuck lui-même fonde A Silver Mt. Zion où il s'autorise du chant sur fond de post-rock, chamber music et rock expérimental. De retour en 2012 avec le superbe ’Allelujah! Don’t Bend! Ascend!, le groupe a eu du mal à renouer avec le succès critique avec deux sorties accueillies tièdement en 2015 puis 2017.



Le Premier des Derniers Glaciers



L'activisme politique d'Efrim Menuck n'est ni caché ni subtil. Le mec est idéologiquement d'extrême gauche, un peu anarchiste sur les bords et il devient de plus en plus confortable avec l'idée de nous le montrer de façon ostentatoire. Alors qu'avant c'était plutôt montré au travers de la musique ou des paroles, on a là un album qui s'appelle littéralement "L'urine de Dieu à LA FIN DE L'ÉTAT!" ce qui n'a pas manqué de faire parler.


De la même façon que je ne vais pas soustraire des points à un Panégyrique de la dégénérescence, je n'ai que faire du nom de cet album ou de la volonté d'Efrim d'abolir l'État. Grand bien lui fasse, moi je suis là pour la musique. Et putain, qu'est-ce que c'est bon.


L'album s'ouvre sur A Military Alphabet(...) qui suit exactement la formule à laquelle on pouvait s'attendre - et pourtant ils arrivent à nous emmener au firmament en quelques minutes, dont la montée est signalée par une guitare électrique sortie de nulle part pendant l'intro. S'ensuit une course à l'ajout d'instruments tout en gardant un bel équilibre dans le mix; une première bombonne s'essouffle mais revient directement sur un autre crescendo sublime dont les retombées se font avec une clarté insondable de la batterie et un long quémandage des guitares électriques, soutenues par un violon dosé à la perfection et rappelant Epitaph de King Crimson dans son placement dans le mix.


C'est bon, on est de retour dans l'ambiance début du troisième millénaire, celle où on prend son temps pour bâtir un château de cartes puis de le laisser s'effondrer au ralenti. On termine l'escale avec des bombardements au loin, d'abord surprenants puis lassants quand on comprend qu'il n'y en aura ni un, ni deux, ni trois mais bien plus. Peu avant le fondu au silence une femme tousse, et le message est clair: ici, entendre ce monotone festival de la mort est une habitude.


Fire at Static Valley poursuit la construction d'une atmosphère délétère avec sa percussion constante, une marche sans fin illustrée dans le concert-vidéo par des usines polluant notre air à longueur de journée. Les guitares se font plaintives, les violons s'étendent comme une main tendue au ralenti ou, au contraire, l'Homme tombant dans le vide après avoir miné son propre sol. Résolument engagé. Sans complexe. La percussion occupe bien les basses fréquences dans le mix, quelque chose qui m'est cher et qui ruine pas mal d'albums du genre : si tu ne sais pas gérer les basses fréquences, comment crois-tu créer un paysage sonore complet?



Marche Triomphale à la Fin de l'Empire



“GOVERNMENT CAME” commence de la même façon que n'importe quel morceau de F♯A♯∞. De la radio brouillée avec du spoken word distordu, on distingue à peine les répétitions 'Allelujah, Allelujah, Allelujah...' prononcées avec la conviction mystique d'un gourou sous l'emprise. Vient l'arrivée des batifolements entre les guitares, les violons et la batterie.. ils se cherchent, s'appellent et se répondent pendant quelques minutes avant de se retrouver et de commencer un long crescendo transcendant, accompagné une fois de plus par cette basse électrique pesante et une préparation au décollage amorcé par des violons versant complètement dans le minimalisme.


Tout se fait sans effort, tout découle, la cascade est enclenchée, le morceau t'emmène vers les rapides sans que tu puisses faire quoi que ce soit et tu sais que les rapides seront violents. La batterie garde une place frontale dans le mix. C'est pile quand tu te demandes si elle n'est pas un peu trop en avant que ça brise vers une montée où la guitare électrique reprend le dessus. L'épais mur sonore s'étend et s'étend, les couches s'élargissent entre tous ces instruments qui festoient avant d'être rasés par un feedback électrique reminiscent de l'explosion d'une bombe atomique au loin, rasant mélodie et constructions. Il reste quelques minutes à ce morceau pour nous surprendre, et il le fait avec une dernière pulsion du grandiose avec des sonorités bien plus triomphantes et brillantes - à ce moment-là dans le concert-vidéo, ce sont des images d'émeutes anti-flics qui passent. Cette incroyable piste se termine par une cacophonie d'églises sonnant leur dernier glas saturé, brûlant les dernières flammes de ce qu'on comprend être l'idée de l'État, vaincue par le peuple.



Regard des Falaises à la Montée des Eaux Vides



C'est d'autant plus évident que le dernier mouvement de l'album, sobrement intitulé OUR SIDE HAS TO WIN (For D.H.), offre une merveilleuse note d'espoir à la sortie des flammes. D'abord engoncé par un orgue sourd et des tons électriques tout droit venus de musique drone, les multiples couches de cette conclusion se dévoilent en laissant de plus en plus place à un violon conduisant le morceau vers une fin des plus poétiques et victorieuses, qui n'est pas sans me rappeler l'outro intouchable de Blaise Bailey Finnegan III.


Godspeed You! Black Emperor continue de chouchouter sa recette et prouve que c'est le seul groupe de post-rock actif à sublimer le genre. Quel plaisir d'entendre ces maîtres canadiens poursuivre leur œuvre malgré les attentes immenses et le poids d'une discographie légendaire derrière eux. Profitons-en tant que c'est possible, écoutons ce monstre à haut volume, et allons voir GY!BE en live dès que possible.

Grifta
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le 28 mars 2021

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