Un modèle

La Drill est souvent caricaturée comme rien de plus qu'un genre musical axé sur la drogue, les coups de couteau et la violence des gangs - une image grossière parfois juste, parfois erronée. La nouvelle mixtape de Headie One et Fred Again, «Gang», pourrait avoir un titre qui fait écho à cette panique morale, mais le projet lui-même est à peu près aussi éloigné que possible de ce dérivé du rap de rue.

Voilà une exploration morose et mélancolique des peurs les plus profondes de Headie One.
"Gang" est un chef-d'œuvre de vulnérabilité. Les paroles entourent les thèmes du trafic de drogue et de l'ingérence de la police, mais il n'y a pas de vantardise ici, juste un portrait brut qui montre le revers de ce monde impitoyable - une chronique de la douleur mentale et physique qu'il laisse derrière.

GANG commence avec "Told", une chanson qui suscite une vulnérabilité immédiate avec Headie affirmant l'importance de l'appartenance et de la loyauté, tandis que son discours est sans cesse expérimenté par Fred, qui l'utilise pour construire et remettre en question la maxime répétée de Headie: “Family first, that’s the code you know”. La ligne elle-même ne change jamais pendant la chanson, mais l'émotion, elle, change, évolue incroyablement, passant d'un sentiment de conviction au doute. La production de Fred rend la ligne déchirante.
La voix de Headie continue d'impressionner pendant "GANG", elle surfe sans effort sur les vagues nostalgiques inégales créées par Fred. Le paysage sonore traduit fidèlement le désir conflictuel de Headie pour le monde extérieur alors qu'il était en prison; cette envie perdue quelque part entre l'optimisme et le déterminisme quand Headie convoitait la liberté, enfermé dans cet isolement.
Sur le solennel «Judge Me», qui présente le chants et surtout, les hurlements lugubres de la grande FKA Twigs, Headie se souvient des jours où il était fauché alors que ses pensées cregardaient de plus en plus loin. Cette interlude cathartique ressemble à un véritable regard sur le subconscient de l'artiste. Magnifique.
"Charades" montre l'alchimie parfaite entre l'artiste et son producteur dans un titre Drill expérimental et franchement mélancolique. Le décor sonore est tellement anglais dans sa subtilité.
GANG atteint son apothéose créative dans "Smoke'', un labyrinthe de beats palpitants, de tempos changeants et de flux en spirale ancrés par un rythme purement Jamie xx qui bouillonne sous les vers capricieux de Headie One qui enragent, touchent et incitent. Le poids de la production et l'indignation de Headie finissent par devenir tellement dense qu'il est impossible de rester insensible. Le titre résonne jusque dans la poitrine et laisse une trace indélébile après écoute.
Le deuxième interlude "The Boys", dans le mood de cet Ep. confirme que Fred Again est à surveiller de très près, vraiment.
Know Me continu l'expérimentation et maintient la fascination élevée. La chanson va à un endroit encore plus profond sur le plan lyrique, avec la ligne poétique “I got pain in my chest, but I find comfort in it” évoquant l'idée que les jeunes hommes noirs doivent trouver un moyen de s'habituer au désarroi émotionnel, en le transformant en une force qui peut, et va durer.
La dernière chanson, "SOLDIERS", mettant en vedette Sampha, conclut la sortie avec une grandiosité fulgurante qui unifie la libération sonore que Headie et Fred ont réalisée en un peu plus de vingt minutes. Headie One se légitime pleinement en tant qu'artiste du plus haut niveau, et Fred Again se solidifie en tant que producteur du moment et, très probablement, du futur.

Alors que les genres grandissent après leur naissance, les artistes commencent inévitablement à repousser leurs limites. Headie One nous a donné un aperçu de cela avec Music x Road de l'année dernière, mais cette collaboration avec Fred Again le voit sortir de l'exercice d'une manière que peu auraient le talent pour réussir.
Ce serait exagéré de dire que GANG est l'avenir d'un genre, mais, croyez moi, cet Ep peut servir de modèle.

8/10