En sortant un de leurs meilleurs albums après 20 ans de carrière, Belle and Sebastian nous font la même divine surprise que les Manic Street Preachers l'année dernière. Comme ces derniers, le groupe écossais se renouvelle sans rien perdre de son identité et cisèle avant tout un disque grandiose, bourré d'hymnes, d'émotions et d'instants magiques. Girls in Peacetime Want to Dance est leur album le plus varié depuis Dear Catastrophe Waitress et probablement le plus éclectique. C'est aussi un résumé de leur discographie, depuis les débuts électroniques peu connus, en passant par les chansons intimistes jusqu'aux superproductions plus rock des années 2000. L'album va au-delà de la simple virtuosité ou de la démonstration technique, chaque composition étant dotée d'au moins une mélodie inoubliable ou d'une idée surprenante.

Le premier morceau, Nobody's Empire, nous accueille de la plus belle des manières, avec son texte qui navigue entre angoisse et espoir ("If we live by books and we live by hope Does that make us targets for gunfire?"). On est en terrain familier, mais lorsque les chœurs viennent souligner les montées d'intensité, on comprend que l'album promet bien davantage. Allie est peut-être ce qui se rapproche le plus du Belle and Sebastian "classique" et présente le personnage qui sera le fil rouge de Girls in Peacetime. Ces deux premiers morceaux servent d'introduction en douceur avant les aventures musicales plus risquées. C'est le cas de The Party Line qui reprend les choses là où Your Cover's Blown les avait laissées. C'est du disco, c'est de la "house", c'est un retour aux années 90 psychédéliques, quand la pop et le rock faisaient des œillades à la techno triomphante.

Comme pour ne pas trop effaroucher l'auditeur habituel du groupe, Girls in Peacetime alterne les moments d'audace avec les chansons plus douces. Par exemple The Power of Three où la jolie voix de Sarah Martin nous apaise. Cela semble aussi être le rôle de The Cat With the Cream, mais c'est un leurre. Produite de façon spectaculaire, rappelant Spiritualized avec ses échos et ses cordes discrètes, il s'agit d'une des œuvres les plus délicatement déchirante du groupe. Sa splendeur, en particulier celle du texte, se révèle au fil des écoutes pour ne jamais s'oublier. Après ce sommet, Enter Sylvia Plath est un nouveau zénith doublé d'un pur morceau "house" qui évoque les grandes heures des Pet Shop Boys. La chanson est un hommage à la poète Sylvia Plath, icône du féminisme, et ne tombe jamais dans le mauvais goût ou le pathos, trouvant au contraire l'énergie adéquate. The Everlasting Muse s'avance sur un rythme bien connu des amateurs de Belle and Sebastian, avant de s'épancher soudainement en un sirtaki endiablé. Fichtre. Avec Perfect Couples, Stevie Jackson compose une de ses meilleures chansons, plus nuancée qu'à l'habitude, et parfaitement dans le ton de l'album.

Ouvrant un final en trois mouvements, Play for Today se présente comme un hymne subtil dont la progression et la mélancolie désarment tout esprit critique. On pense au monument de Paul Simon, Graceland, en particulier dans cette faculté à mêler ambiance world et balade pop. Stuart Murdoch chante ici en duo avec Dee Dee des Dum Dum Girls (qu'il a rencontré lors du casting de God Help the Girl) et l'union de leurs voix s'avère angélique. Murdoch a déjà affirmé que, de tout ce qu'il a écrit pour Belle and Sebastian, il s'agit de son morceau préféré. Il sera, en effet, difficile de détrôner Play for Today au titre de plus belle chanson de 2015. Je m'emballe, je m'emballe, et l'album n'est pas encore fini !

Il reste le primesautier The Book of You, entonné par Sarah Martin, qui fait rebondir l'ambiance, en particulier grâce à son solo de guitare bien punk. La conclusion du disque se nomme Today (This Army's for Peace), remplacée par le tout aussi adéquat The Cat With The Cream sur la version deluxe. C'est une chanson vaporeuse, éthérée, qui semble descendre des cieux, ou plutôt y monter lentement, telle un nuage. On pense encore à Spiritualized, mais c'est bien du Belle and Sebastian, au sommet de leur art. Le groupe de Stuart Murdoch nous offre avec Girls in Peacetime Want to Dance une œuvre sublime, qui fait du bien au cœur et à l'âme.
Ed-Wood
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le 13 janv. 2015

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