"T'as Internet et tu t'en sers pour des tops 10 sur des forums"
Lorsque Fuzati et Orgasmic ont annoncé « Grand Siècle », la surprise n’était pas SI grande. D’une part parce que ces deux là sont apparus sur scène ensemble durant la tournée de « La Fin de l’Espèce » (cf. concert à la Gaïté), de l’autre parce que Detect se faisait de plus en plus discret depuis la promo de « Last Days ». Cette alliance qui nous fait revenir à l’époque de « Baise les Gens » est l'occasion pour l’un comme pour l’autre de changer d’air, oubliez donc « la trilogie du loser ». A une époque où il est bien vu d’insulter les gens de hipsters lorsque l’on est soi-même un hipster, Fuzati est un hipster dans le sens le plus noble du terme. Quand il te parle, le mec t’explique qu’il aime vraiment la musique, te sort des références de jazz des arcanes et te fait comprendre que si les gens n’aiment pas ce qu’il fait, ils n’ont qu’à aller se faire enculer. En tant que réac' averti, c’est donc avec une noisette de vaseline sur le doigt que j’ai appuyé sur Play.
L'album commence avec "Sinok" qui nous avait été teasé une semaine avant et qui donnait fortement envie, et en moins de dix secondes, une grosse paire de couilles est en effet posée sur la galette. La prod' est méchamment lourde, au point qu'on en ait du mal à se concentrer sur autre chose, chaque morceau nous met une petite claque au départ et il faut ensuite rechopper le train en route, à un point que lors de la première écoute, Fuzati est un peu passé à la trappe, un comble. La présence d'Orgasmic a transporté cet album dans le turfu, on est loin des prods (déjà excellentes) de Fuzati et Detect qui ont toujours refléter les influences très 60's du Klub. La track magique "Roulette Russe" de l'EP de Detect, qui est pour moi LA track qui reflète le mieux l'esprit du duo, est à des années lumières mais la pilule passe et le virage se vit merveilleusement bien. Ce changement peut s'expliquer par le fait que cette fois-ci l'exercice du sampling tant chéri par le Klub n'a ici pas été utilisé, les prods sont originales, et elles tuent. Aucune d'entre elles ne se vampirise et au bout de deux écoutes on peut déjà sans mal les identifier, ce qui prouve leur qualité.
Fuzati de son côté a encore progressé, on oublie de plus en plus le maigrelet au chapeau qui nous expliquait comment il couchait avec sa meuf estropiée. Plus confiant, le versaillais va plus loin, en effet même si son flow monotone est toujours le même depuis le début, il prend des risques qu'il n'aurait pas pris avant, joue davantage, nous offre une prestation plus théâtrale. On émettra néanmoins une réserve sur la prise de risque car au niveau textuel, bien que ce soit comme d'hab très propre, à base de métaphores filées diaboliques et de rimes qui frappent, Fuzati a définitivement du mal à sortir de son délire "Je bois des bières et j'emmerde la Terre entière". A l'époque de "La Classe de Musique", le problème se faisait déjà sentir, Fuzati partait moins loin que ses comparses dans le délire cour de récré. Ici le problème est sensiblement le même, c'est un hors-série mais on reste dans la même mouvance, il n'y a certes pas d'axe logique dans le déroulement de l'album comme dans Vive la Vie ou La Fin de l'Espèce mais l'univers est très semblable, après je ne vois pas Fuzati nous pondre un délire façon TTC ou Svinkels. Malgré ça, on retrouve le MC dans un second degré qui nous avait manqué car quelque peu disparu dans "La Fin de l'Espèce", comme dans "Bad Trip" où on peut déceler quelques phases vraiment pétées tout en restant ingénieuses. Exemple: "Oublie le R.A.P, ta zik est trop pétée, comme une fusion des deux maintenant tu taffes à la RATP". Le summum étant atteint dans "Chaine en or" qui est une vaste (bonne) blague. Enfin, Fuzati a toujours mis un point d'honneur à ne pas mettre de références dans ses textes pour accentuer l'intemporalité de son travail, il en a ici utilisé mais ce sont des références assez ancrées dans les esprits pour être elles-même intemporelles, au pif "Ecco The Dolphin", "Les Goonies", "Ikari Warriors" ou encore "La Petite Maison dans la Prairie" ("J'aimerais plâner comme Albert Ingalls, défoncé sous morphine", parfait).
Au final, "Grand Siècle" est une grosse bouffée d'oxygène qui fait beaucoup de bien. Il est je pense l'album que les fans de "Vive la Vie" attendaient et qui ont pu être déçus par "La Fin de l'Espèce", qui, en abordant des sujets d'un regard très "trentenairesque", avait perdu une partie de son public. En tant que vieux fan connard qui a choisi d'écouter l'album d'abord en streaming avant de l'acheter, je suis bon à passer à la caisse. La vaseline ça ne sera pas pour cette fois. Chouette. J'espère néanmoins voir Detect revenir, car même si on le rétrograde au simple rang de "DJ du Klub", pour moi il reste 50% du Klub et un homme très talentueux.