Elvis a libéré les corps tandis que Bob Dylan a libéré les esprits.
C'est un concert du King Elvis à la télévision qui poussa le jeune Bruce Springsteen à se consacrer corps et âme à la musique, de persévérer puis d'avoir l'occasion d'enregistrer son premier album en 1972. Le Boss et son fantastique E. Street Band (ici composé de quatre membres, dont le célèbre saxophoniste Clarence Clemons qui l'accompagnera durant de longues années jusqu'à sa mort) signent alors Greetings From Asbury Park, N.J., en référence au New Jersey natal de Springsteen.
Plus j'écoute cet album, plus il me plaît, le considérant comme l'un des plus importants, et meilleurs du Boss. On ressent ici toutes ses influences, principalement rock, folk et country, qu'il s'approprie pour créer son propre style et pose, dès cette première expérience, les bases de son oeuvre. Ce que j'adore, entre autres, chez lui, c'est ce mélange des instruments, notamment le piano, les différentes guitares et le sax qu'il inclue magnifiquement à ses compositions et paroles. Des textes où il évoque la vraie Amérique, celle des paumés (ce qu'il accentuera par la suite) mais aussi la vie et ses difficultés, avec justesse et souvent émotion. Il livre ici neuf chansons pour trente-sept minutes, rien n'est à jeter et on ressent la jeunesse, l'enthousiasme et la fougue de Springsteen, donnant un côté plus urgent et frais à son disque et surement moins étoffé et perfectionniste que ce qu'il fera par la suite.
Dès l'introduction Blinded by the Light et cet excellent duo de guitare, le Boss ne perd pas de temps et offre un classique, une chanson positive sur laquelle il chante superbement avec un impressionnant débit de parole (comme souvent, surtout à ses débuts) et qui donne instantanément envie de taper du pied et de bouger, puis de chanter le refrain en choeur ! L'alchimie entre les musiciens fonctionne, tout comme celle avec le chant de Springsteen, enchainant les chansons avec fluidité et facilité. Il poursuite ensuite avec la petite pépite Growin'Up, une très belle chanson où il évoque la fin de l'enfance et ce qui nous attend lorsqu'on est adulte, un titre qu'il sublimera à de nombreuses reprises en concert. Il alter bien entre différentes ambiances, et il nous en fait ressentir une authentique et de redneck avec le plus long titre de l'album, Mary Queen of Arkansas, inaugurant un peu Nebraska, où il sort l'harmonica pour une belle, forte et émouvante chanson. Malgré quelques bonnes idées et un ensemble qui reste sympa, Does This Bus Stops At 82nd Street ? reste plus du domaine de l'anecdotique.
C'est par l'un de ses sommets que le Boss conclut la première face, Lost in the Flood, une touchante, mais jamais mièvre, chanson où il nous fait passer par tout un panel d'émotion. Très mélancolique avec un immense refrain, tous les instruments sont en osmose totale, alors que la voix de Springsteen se pose doucement dessus. La seconde face s'ouvre avec The Angel, plutôt jolie mais loin de ce que le Boss est capable de faire de mieux, et il faut aller puiser dans les trois dernières chansons pour, à nouveau, retrouver les sommets de cet album décidément génial. For You permet à Springsteen de mettre en place son style si unique, mélange de rock et folk avec un impressionnant débit de paroles et une mélodie inspirée. Avec Blinded By The Light et Lost In The Flood, les deux dernières représentent vraiment les sommets de cet album, et font partis des plus mémorables de l'immense répertoire du Boss. Spirit In The Night monte peu à peu en puissance et se révèle aussi entrainante qu'inspirée et excellente, dans un style plus pop avec un saxophone fort mémorable. La conclusion It's Hard To Be A Saint In The City permet à tous les instruments de bien s'exprimer (surtout le piano) et de conclure magnifiquement et définitivement le style Springsteen qui brillera pendant encore de longues années.
Premier album du Boss, il continuera sur cette lancée avec le fantastique The Wild, the Innocent and the E Street Shuffle avant de livrer Born To Run qui lui permettra d'enfin connaître un vrai succès public et entrainera une Bossmania méritée. En attendant, ce premier album, et l'un de mes préférés, pose magnifiquement les bases du style Springsteen, brassant la musique populaire américaine (Rock, folk, ballade ou encore country) avec des titres qui font déjà partis de ses meilleurs, un ensemble fluide, d'une rare fraicheur et génial, des musiciens inspirés et un Boss assumant déjà son futur surnom. Immense.