Hamlet
5.7
Hamlet

Album de Johnny Hallyday (1976)

Eh oui, qui aurait dit qu’un jour de 1976, notre Johnny se lancerait dans un opéra rock sur Hamlet ?! Pourtant, il y pensait depuis plusieurs années et il va avoir du mal à aller au bout de sa réalisation « shakespearienne ». Johnny avait été marqué par le « Tommy » des Who et était intéressé par l’idée de raconter toute une histoire plutôt que d’accumuler des singles. Décidément, rien ne va fonctionner correctement et l’album va être un gros échec commercial, le plus lourd de toute sa carrière alors que les moyens qu’il a nécessités étaient importants, sans doute trop inattendu de la part de Jojo, pas complétement abouti, sans aucune promotion. Il a même essayé (en vain bien sûr) de le jouer sur scène ce maudit album, pensant à une mise en scène de Robert Hossein. Il s’est finalement ravisé et il doit en falloir beaucoup pour qu’il abandonne un projet…Et pourtant, il fallait un sacré courage et une vraie détermination pour se lancer là-dedans ! Même les détracteurs de cet album (et ils sont nombreux !) doivent au-moins le reconnaître. Moi, il m’a fallu du temps pour l’apprécier, quand j’étais ado, j’avais découvert Johnny avec « Cadillac » et « Dans la chaleur de Bercy » alors, vous parlez, accepter qu’il adapte Hamlet de cette façon, avec des touches de rock progressif !!! La musique est de Jacques Revaux, Pierre Groscolas signe les textes et 150 musiciens sont engagés ! Parmi eux, certains sont connus comme Jannick Top à la basse, Jean Schulteis à la batterie, Gabriel Yared aux claviers et Jean-Pierre Azoulay à la guitare, un fidèle parmi les fidèles.

Ce projet se révèle fou, pratiquement au sens littéral. La pochette, les paroles parfois ahurissantes ("Je suis fou comme une tomate, je ne tiens pas sur mes pattes" dans « Je suis fou » ou «Ma mère n’est que reine / La reine n’est que femme / La femme n’est que chienne / Un bâtard l’enflamme » !), des rires déments fusent à certains moments, tout est volontairement dérangeant, comme si Johnny avait voulu traduire toute la folie sans limite du personnage assoiffé de vengeance dans ce double album. Avec « L’orgie », là, soit on éclate de rire, soit on reste bouche bée avec un texte dans lequel "Les rires deviennent gras comme des porcs, les voiles de deuil font du striptease. Ces apôtres de la partouze, si saouls qu'aucun ne bande..." !!! Johnny n’avait jamais chanté ça avant et ne l’a plus jamais fait ensuite, revenant à du plus « classique », plus rock et variété. Moi, ça force mon respect mais c’est vrai qu’il faut y être préparé. Les chœurs sonnent quand même très kitsch (« Le cimetière »…) et passent mal aujourd’hui, et puis il y a des longueurs, des répétitions, des transitions sans Johnny qui alourdissent l’ensemble. C’est le gros risque des doubles albums. Mais à côté de ça, on peut entendre une variété de styles réjouissante, du blues rock (« To be or not to be »), au rock sudiste avec « le vieux roi est mort » en passant par des ballades symphoniques, parfois un peu pompeuses mais qui montrent l’ouverture d’esprit de Johnny et la démesure du projet (« Je l’aimais », « Ophélie, oh folie », « Tue-le » un des meilleurs titres de l’album).

Il est facile de rire et de se moquer, l’échec ayant été cuisant mais les années ont permis de mieux comprendre cette aventure, sans doute trop en avance sur son temps. Ca n’était pas encore le temps des grandes comédies musicales à succès comme Les Misérables ou Notre-Dame de Paris, nous n’étions qu’en 76. Ce genre de projet de plus en plus fréquent chez les Anglo-saxons, était très inhabituel chez nous à l’époque. Il ne s’agit évidemment pas d’un chef d’œuvre, les défauts en sont trop apparents ou audibles mais il a permis de montrer une autre face de Jean-Philippe Smet, désireux de sortir de son personnage de rockeur national et d’endosser les habits d’un Hamlet hors-norme. Même si l’on n’adhère pas (et beaucoup de ses fans sont dans ce cas), il faut tirer un grand coup de chapeau à ce projet incroyablement gonflé dans lequel Johnny s’est investi corps et âme, restant un immense interprète. Il l’a avoué lui-même avec sans doute un peu de tristesse quand il en a constaté l’échec : « C'est dommage, ce disque, j’y avais mis toutes mes tripes ». Une vraie curiosité qui vaut bien plus qu’un sourire ou une moquerie.


JOE-ROBERTS
7
Écrit par

Créée

le 8 oct. 2024

Critique lue 3 fois

JOE-ROBERTS

Écrit par

Critique lue 3 fois

D'autres avis sur Hamlet

Hamlet
TheNetoFox
9

Une belle folie

Vous connaissez le Trivial Pursuit ? J’imagine que oui, bien sûr. Laissez-moi vous raconter une petite histoire. Au Noël de mes 11 ou 12 ans, j’ai eu la surprise de trouver sous le sapin un cadeau...

le 22 août 2018

8 j'aime

3

Hamlet
JOE-ROBERTS
7

L’œuvre maudite de Johnny

Eh oui, qui aurait dit qu’un jour de 1976, notre Johnny se lancerait dans un opéra rock sur Hamlet ?! Pourtant, il y pensait depuis plusieurs années et il va avoir du mal à aller au bout de sa...

le 8 oct. 2024

Du même critique

Un soupçon
JOE-ROBERTS
6

Une excellente Odile Vuillemin

Cette série ne révolutionne pas les séries policières françaises mais elle est prenante et nous l'avons regardée en 2 soirées: le mari d'une femme, Isabelle, meurt carbonisé dans sa voiture après s'y...

le 11 oct. 2024

2 j'aime

This Strange Engine
JOE-ROBERTS
8

Un des meilleurs Marillion des années 90

En 1997, Marillion se trouve à un nouveau tournant de sa carrière. Ils ont sorti « Brave », excellent, en 1994 puis « Afraid of Sunlight », moins réussi en 1995. Le problème est que leur succès...

il y a 7 jours

1 j'aime

4

You Had It Coming
JOE-ROBERTS
7

Le 2e album de la trilogie « techno rock » de Jeff Beck

Beck n’a jamais rien planifié dans sa carrière, il a toujours fonctionné à l’instinct, s’intéressant à toutes les musiques. Et depuis la fin des années 90, il est passionné par la musique techno et...

le 28 oct. 2024

1 j'aime