Une belle folie
Vous connaissez le Trivial Pursuit ? J’imagine que oui, bien sûr. Laissez-moi vous raconter une petite histoire. Au Noël de mes 11 ou 12 ans, j’ai eu la surprise de trouver sous le sapin un cadeau...
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le 22 août 2018
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Vous connaissez le Trivial Pursuit ? J’imagine que oui, bien sûr. Laissez-moi vous raconter une petite histoire.
Au Noël de mes 11 ou 12 ans, j’ai eu la surprise de trouver sous le sapin un cadeau auquel je ne m’attendais pas et dont j’ignorais l’existence : le jeu de société Johnny Hallyday, offert par un de mes cousins ! Je suis fan de l’artiste depuis mes 4-5 ans, il fait partie de mes tous premiers souvenirs, alors autant dire qu’il était de notoriété publique que je l’appréciais fortement. Ce jeu, c’était en fait une sorte de Trivial Pursuit avec des questions quand même pointues pour certaines, réparties en plusieurs catégories, style « chanson », « scène », « vie privée », etc. Sauf qu’à la place des traditionnels camemberts, les points étaient représentés sous la forme de petites cartes dont la valeur variait. Il y avait les cartes disque d’or, disque de platine, double disque de platine et le grand sésame, les 2 cartes disque de diamant qui permettaient de gagner. Pourquoi je vous parle de ce jeu dans cette critique ? J’y viens.
Toutes ces cartes « disque de… » étaient pourvues d’une pochette d’un des albums de Hallyday. Il m’arrivait parfois de les prendre et de les observer dans le détail. Et parmi celles-ci, l’une d’entre elles piquait ma curiosité plus que les autres. Elle semblait un peu angoissante avec son mur de pierre verdâtre, son ombre sur ledit mur et ce portrait de ce que je reconnaissais comme étant mon chanteur préféré avec un visage un peu creusé. Et puis ce titre surprenant : Hamlet Hallyday. Je n’avais alors jamais lu l’œuvre de Shakespeare, mais je savais tout de même à peu près de quoi il en retournait. J’ai donc tenté d’en savoir un peu plus sur cet album et sur ses chansons, mais en 2003-2004, la recherche internet n’était pas encore devenue un réflexe direct (de toute façon, on ne trouvait pas forcément autant d’informations qu’aujourd’hui) et le téléchargement était une option que je connaissais mal et que je me refusais à l’époque à envisager (ce qui est toujours le cas maintenant pour ce qui est des albums de musique). J’ai donc laissé ça de côté durant quelques mois.
Puis un jour, je me suis payé moi-même, avec mon argent de poche, un coffret best-of des « 100 meilleures chansons » de Johnny que j’ai écouté et réécouté. Sur l’un des disques, ma mère reconnut un titre que je ne connaissais pas en ce temps-là : Ophélie, Oh Folie… Et quel titre ! C’était une chanson tellement différente de ce que je connaissais de Johnny à l’époque. À l’âge qui était le mien alors, il était normal que j’eusse à peine effleuré sa longue carrière, mais cette introduction grave au piano et ces cordes un brin sombres… puis ces mots déclamés, presque résignés, que les violons semblent cette fois vouloir agrémenter d’un sentiment plus mélancolique…
Le soleil, sans vergogne,
Fait d'une peau vermeille
Une infecte charogne.
Fuis devant le soleil.
Puis enfin, ces quelques percussions et ce cri, lancé comme une prière à Ophélie… Tout cela me troublait au fond de moi-même et je n’arrivais pas trop à expliquer pourquoi. Comment ma mère connaissait-elle cette chanson ? Simple, elle venait de se souvenir que son frère avait le disque sur lequel elle figurait et qu’il avait racheté le CD depuis. Et ce disque, c’était Hamlet Hallyday ! Il me fallait l’écouter ! Après quelques discussions, mon oncle me fit don d’un exemplaire qu’il avait gravé. Enfin ! J’allais pouvoir jeter une oreille sur cet album auquel je pensais depuis déjà plusieurs mois. Et ça, pour l’écouter… je l’ai écouté. Chez moi et beaucoup sur mon baladeur CD durant les longs trajets en voiture. Je n’ai pas été déçu du voyage. Je me suis tout à la fois senti angoissé, emballé, triste, circonspect, hypnotisé et euphorique.
Encore aujourd’hui, il fait partie des albums de Johnny pour lesquels j’ai le plus de sympathie, et Dieu sait que de l’amour pour ce mec et sa musique, j’en ai à revendre. Mais Hamlet a su éveiller quelque chose en moi de par son ambiance. Entre les instants orchestraux, les chœurs pastoraux, le chant intense du Taulier, les relents de rock progressif qui exaltent la colère et la trahison, la tension de certains morceaux…
J’ai manqué pleurer sur La Mort D’Ophélie, je me suis senti oppressé par Tue-Le, exalté sur J’effacerai De Ma Mémoire, ému par Je L’aimais – Il Est Fou, subjugué par Pour L’amour… Je me suis laissé emporter par le récit que l’idole me proposait de me conter à sa façon.
Je vais essayer de vous raconter cette histoire comme je l’ai ressentie, moi.
Et vous la ressentirez comme vous voudrez, vous.
Je peux comprendre que Hamlet Hallyday puisse avoir des détracteurs. Outre le fait que Johnny et sa carrière en eux-mêmes ont souvent été la cible de railleries, il est vrai que, selon les sensibilités de chacun, certaines personnes pourraient trouver ce disque un peu trop kitch peut-être, ou trop grandiloquent ou bien même un peu bête, voire naïf. Normal, les goûts et les couleurs, tout ça… Pour autant, certaines critiques ne me semblent pas justifiées, à l’image de celles souvent faites aux paroles de Gilles Thibaut (la musique étant de Pierre Groscolas, que l’on a connu moins rock avec le titre Lady Lay). Je les trouve pourtant assez appropriées à cet opéra-rock. Certes, j’ai moi-même tiqué à l’écoute de certaines phrases, telles que :
Je suis fou comme une tomate
Je ne tiens pas sur mes pattes
Je marche et vais de travers
Je vois rouge et je suis vert.
Mais enfin, il suffit de réfléchir deux secondes pour entrevoir un semblant d’explication à ces élucubrations. Le personnage de Hamlet étant censé se faire passer pour fou, on peut très bien supposer que les propos qu’il déblatère n’ont ni queue ni tête, ce qui expliquerait aisément la comparaison curieuse à la tomate et à tout ce qui s’ensuit dans le reste de la chanson. (Bien sûr, c’est mon interprétation, rien ne dit que j’ai bon, peut-être Gilles avait-il juste un peu trop fumé.)
De même, j’ai vu revenir souvent cette phrase tirée de la chanson L’orgie :
Le vin est rouge, les sexes bougent.
Les mecs, c’est une orgie ! On ne va pas reprocher à une telle ligne de texte de ne pas avoir sa place ici !
En revanche, j’avoue être toujours resté un peu circonspect face au final de Je Lis. La chanson démarre superbement avec sa guitare, ça monte crescendo au rythme de l’anaphore en « quand » à chaque début de vers, ceux-ci se terminant toujours par « Je lis », tout ça pour se terminer finalement par un Johnny (certes magistral) balançant d’un ton solennel et définitif un :
Quand je lis, je lis, je lis quoi ?
Des mots.
Je ne cache pas que moi aussi, malgré toute l’affection que je peux avoir pour ce morceau, je trouve que ça finit un peu en queue de poisson. Même si, encore une fois, cela reste cohérent avec l’œuvre originale, Hamlet prononce bel et bien cette réplique : « Des mots, des mots, des mots, des mots ». Mais ce serait faire un mauvais procès à l’œuvre pour de telles raisons. Elle a des défauts, mais ils sont à chercher ailleurs.
Cet album reste une parenthèse curieuse dans la discographie de Johnny, et c’est bien normal de le voir comme telle quand on observe tout ce qu’il a fait dans le reste de sa carrière. Mais c’est un projet qui lui tenait à cœur et qu’il a imaginé depuis la fin des années 60 avant de réussir enfin à le concrétiser. Malheureusement, le carton du disque Derrière L’amour sorti quelques mois plus tôt, l’étrangeté de l’entreprise, le manque de singles vendeurs et une mauvaise communication n’assureront pas à Hamlet suffisamment de succès pour permettre à Johnny de mettre sur pied le spectacle dantesque mis en scène par Robert Hossein entièrement dédié à l’album initialement prévu, ce que je trouve plus que dommage. J’aurais aimé avoir la trace vidéo d’un tel show. Pire, il n’a jamais repris ne serait-ce qu’une seule de ces chansons dans l’un de ses concerts, pour mon plus grand malheur.
Aujourd’hui, cet album semble voir sa réputation réhabilitée et c’est tant mieux. Passez outre vos éventuels a priori, oubliez votre incrédulité face au titre de cet opéra-rock sorti 3 ans avant Starmania, mettez de côté tout ce que vous pensez connaître de Johnny Hallyday, tendez-lui une oreille attentive et tentez le voyage en sa compagnie et celle de son Hamlet. Peut-être que ce disque finira par vous fasciner autant qu’il a fasciné le gamin de 13 ans que j’étais. Il vaudra peut-être bien une carte disque de diamant à vos yeux, qui sait ?
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le 22 août 2018
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