Havana Moon est avant tout l’enregistrement d’un événement historique : le premier concert cubain de grande ampleur de la part d’un groupe de rock occidental, après des années de censure du genre. C’est donc surtout un symbole de l’ouverture du pays, les Rolling Stones venant ici se confronter à un public peu au fait de leurs chansons, alors même que leur musique peinait à se frayer un chemin sur l’île du temps de leur splendeur, lorsque la Guerre froide battait son plein.
Et force est de constater que, des décennies plus tard, les Stones ont toujours de l’énergie à revendre. Bien sûr, ils ne prennent aucun risque au niveau de la setlist, les chansons choisies étant toutes des classiques, à l’exception de « Out Of Control », issue du tardif Bridges To Babylon, qui ne détonne cependant pas parmi les autres – elle est après tout l’une des plus réussies de l’album dont elle est extraite – et fait curieusement l’objet d’une des plus puissantes acclamations de la part du public dès que les premières notes retentissent, comme si la plupart des spectateurs la connaissaient déjà. On démarre donc avec un « Jumpin’ Jack Flash » de bonne facture, suivi par une interprétation fiévreuse de « It’s Only Rock ‘N’ Roll (But I Like It) » et un « Tumbling Dice » à peine déformé par l’âge de Mick Jagger. Il s’agit bien d’un concert particulièrement festif, rempli d’hymnes rock tout en laissant de la place à quelques improvisations, avec un « Midnight Rambler » d’un quart d’heure, un « (I Can’t Get No) Satisfaction » de dix minutes et un « Miss You » de huit minutes, et à des emprunts locaux, avec la venue d’un chœur cubain pour l’introduction de « You Can’t Always Get What You Want ». Les plus grandes chansons font évidemment un peu pâle figure à côté de leurs versions antérieures (il faut attendre le crescendo final de « Paint It Black » pour renouer un peu avec la virtuosité malade du single ; « Sympathy For The Devil » manque de fièvre en ces terres pourtant vaudoues ; le jam de « Midnight Rambler » ne suffit pas à déclencher l’orgasme habituel), mais le reste s’apprécie avec d’autant plus de délectation que le talent des musiciens est toujours présent et que la voix de Jagger semble plus vive que sur Blue & Lonesome, preuve qu’il lui suffit de réinterpréter ses plus belles compositions pour paraître au meilleur de sa forme. Celle de Keith Richards est quant à elle toujours aussi séduisante avec l’âge, elle qui rendait les albums récents du groupe un peu plus sexy quand Jagger se faisait étouffant : elle offre ici des variations bienvenues avec « You Got The Silver » et surtout l’enjouée « Before They Make Me Run », tandis que la choriste Sasha Allen livre une impressionnante prestation sur « Gimme Shelter ».
Y a-t-il donc autre chose à retenir de ce concert que son importance historique ? Simple étape d’une tournée sud-américaine, il n’est sans doute ni meilleur ni moins bon que ses prédécesseurs, mais il n’en demeure pas moins très réussi. On peut bien sûr penser que, étant donné la qualité de leur répertoire, il faudrait vraiment que les Rolling Stones le veuillent pour rater un de leurs spectacles, mais c’est pourtant à leurs talents d’interprètes et de showmen qu’ils doivent la réussite de leurs performances à leurs âges.