J’étais nouveau dans cette école. Nouveaux locaux, nouveaux cours, nouveaux endroits… Mais surtout nouvelles têtes. Bac fraichement en poche, il fallait maintenant s’attaquer aux personnes qui seraient susceptibles de faire de bons potes, potentiellement pour deux ans.
Cercle fermé, chacun armé d’un café trop chaud pour être tenu avec autant de décontraction, tout le monde se toise d’un regard. Puis quelques mots. Ça commence à discuter de tout et de rien. La tension qui se faisait palpable jusque là laisse place à un soulagement collectif. Études de son oblige, ça finit par parler musique.
D’électro évidemment, mais aussi un peu de pop, de hip-hop et tous ses sous-genres… Et évidemment, zéro metal. Mais ils ont finis par arriver ces quelques mots. Montre en main comme pour s’excuser d’être en retard. « Led Zeppelin ». Il aura suffit d’un nom pour captiver mon attention. Nos regards se croisent. Les regards confiants des mecs qui ont tout de suite compris de quoi il allait être question. Et ma touillette tremblote dans le breuvage brûlant.
S’en suit une discussion sans fin sur le groupe. Ses années de gloires, ses membres inséparables, ses expérimentations et ses classiques. J’aurai dû me méfier pourtant. Qu’il ne puisse me citer ne serait-ce qu’un nom d’album. Rien de bien méchant, me dis-je. Chacun sa façon d’écouter sa musique (même si encore aujourd’hui, écouter un shuffle d’une discographie d’un groupe me paraît toujours aussi stupide. Mais le mot est fort).
« Ces mecs là sont des génies, ils ont carrément inventé le metal ».
Hum… La méfiance grandit. Dans ma tête, des arguments fusent dans tous les sens, ne demandant qu’à sortir pour faire comprendre à un idiot d’un instant son idiotie.
Mais de tous ces arguments, un nom ressort, clignote en énorme. Black Sabbath.
« Haha, oui si on veut, mais n’oublie pas Black Sabbath, qui avait un son carrément plus metal. Certes un an plus tard, mais Led Zep a toujours plus officié dans le hard que le heavy. »
« Ouais Black Sabbath, je connais. Même que j’aime beaucoup »
« Ah, et t’es plutôt période Ozzy ou Dio ? »
Victoire par KO. Il n’a rien pu faire d’autre que d’admettre sa défaite avec un « je sais pas » murmuré honteusement. La victoire dans le cœur, le genou à terre et le poing en l’air, je me pavane fièrement au milieu du cercle.
C’est pas ce jour-là que je me suis fait des potes.
Mais tant pis. J’avais les riffs classieux de Tonny Iommi, au service de la voix grandiose de Ronnie James Dio. Une sorte de heavy plus grand que celui de Maiden, plus construit, plus réfléchi encore. Fini le doom de Masters of Reality, les impros de Paranoid et les expérimentations de Sabbath Bloody Sabbath. À l’ordre du jour, des hits s’enchainant comme s’enchainent une couplet heavy, un refrain accrocheur et un break aérien. Le meilleur album du Sab’. Et ce jour là, ça valait tout.
P.S. : J’ai quand même fini par être pote avec ce mec. Ça s’est fini le jour où il m’a dit qu’il avait du mal à écouter les Rolling Stones depuis que Lou Reed était mort. Je l’interroge : « Quel rapport ? ».
« Ben Lou Reed il faisait parti des Rolling Stones non ? ». Je ne l’ai jamais revu.