Il était une fois un jeune garçon inconscient, perdu et très con, qui partait faire un long voyage en Amérique du Sud avec un ami.
Inconfortablement recroquevillé sur le siège du Boeing low cost qui les transportait pendant quinze longues heures vers ce lointain continent, comatant dans la moiteur ambiante (d'où émanait un savant mélange d'odeurs de moquette, parfums de sueur et autres), il avait déjà regardé un film, ou plutôt essayé de le voir sur le petit écran trop sombre placé sur le dossier du siège avant, contre lequel ses genoux se frottaient douloureusement.
Dans sa tête dansait encore Jim Carrey entouré de pingouins, noyés sous le raz-de marré de mélasse de neurones engourdies qui avait désormais envahi le cerveau du jeune adulescent.
Pour tenter de sortir de sa torpeur aérienne, il décida d'imiter son ami et d'explorer la musique à disposition. Étonnamment, un large choix était proposé.
Compositeurs classiques, Beatles, et... Oh ! Quelle ne fut pas sa surprise à la découverte du dernier album en date de Massive Attack, qu'il n'avait toujours pas écouté.
Le choix étant fait d'office, l'écoute débuta. Pray For Rain d'abord, au rythme lancinant valsant avec la voix acidulée ; séduisant. Babel, plus électronique, robotique, digne d'une BO de SF.
Et soudain, le choc.
Splitting The Atom
Ce rythme. Cette voix suave mais rauque, suivie de l'autre, angoissée et vibrante, plus doux encore le cœur, envahissant le fond sonore comme une berceuse.
Ces variations de voix. Cette poussière musicale dispersée comme une poudre magique saupoudrant l'harmonieux ensemble... Cette envolée à la fin, et cette ultime retombée, et ces dernières notes qui... AH !
Il écoutait à peine le fade Girl I Love You et les autres, demeurant envoûté par les atomes fissionnés. Durant les cinq minutes d'écoutes, il avait oublié les douleurs, les crampes, l'odeur moisie qui lui chatouillait les narines, la goutte de sueur coulant depuis l'aisselle sur le long de son flanc, dessous ses habits froissés.
Il reprit ses esprits en entendant Paradise Circus, qui, il le découvrirait plus tard, était le morceau le plus apprécié de l'album.
Ce fut le dernier à vraiment retenir son attention.
C'était avant de connaître SensCritique, quand découvrir une œuvre qui lui plaisait tenait encore du hasard. C'était dans un avion qui avait décollé, emportant dans son ventre d'acier l'aventurier plein de doutes, la tête dans les nuages, pas sur de lui, pour l'accoucher baroudeur. Et dans cette carcasse ailée, l'espace de cinq minutes, il avait décollé lui aussi ; libéré de ses angoisses, de ses appréhensions, délivré de tout, flottant comme hors de son corps, porté par l'extase que seul ce genre musical faisait parvenir en lui.
Un trip, et hop !
Il avait déjà voyagé avant même de poser les pieds dans l'aéroport de Buenos Aires...
Beaucoup plus tard, en rédigeant sa critique bien au chaud chez lui, il prit du recul en le réécoutant. On était loin du très intéressant album Protection et du plus connu Mezzanine, doté du sublime Teardrop devenu si populaire, entouré de morceaux profonds et travaillés, expérimentaux, novateurs et dignes d'un groupe précurseur du Trip Hop.
Avec Heligoland, le groupe reposait sur ses acquis, et n'allait pas plus loin. Les artistes savaient bien sur quelle corde appuyer pour faire vibrer les bonnes, mais tout cela semblait tristement dénué d'âme dans le fond. Massive Attack, après deux glorieux opus musicaux, auraient baissé la garde ? Cédé au trip-hop commercial, peu nuancé?
Désillusion déplaisante, quoi que minimalement compensée par la qualité tout de même présente au cœur de certaines touches de l'album.
Fort de ce constat désolant, le garçon se rappela toutefois, baignant dans sa nostalgie musicale, d'une des dates le plus marquantes de sa vie.
Le 1/11/2012. Un avion décolle d'Italie. Un jeune rêveur ne sachant pas ce qui l'attend dans son périlleux voyage à venir, qui écoute un morceau de musique et qui plane.
Qui plane...