Après avoir sorti à nouveau ses griffes avec « Wrecking Ball » en 2012, Bruce fait paraître cet album en 2014 même si ça n’est pas un album de nouveautés au sens strict. Il s’agit plutôt d’une compilation de reprises, de titres laissés de côté et de versions réinventées ou retravaillées (peu importe le terme) en studio de morceaux anciens. Alors oui, on peut avoir l’impression que c’est un « bouche-trou », faute de pouvoir sortir un album d’inédits, autant plonger dans ses archives. Mais voilà, les archives de Bruce sont au-moins intéressantes, voire passionnantes, ça vaut donc le coup de s’y pencher même si cet album n’est bien sûr pas un incontournable. Bruce lui-même l’a qualifié de « petite anomalie ». Il invite sur plusieurs morceaux, le guitariste de Rage Against the Machine, Tom Morello et ça fonctionne à merveille, ce dernier lui apportant un son moderne, plus mordant, rentre-dedans, en particulier sur le morceau titre. « High Hopes » avait été enregistrée en 1995 et publiée sur l’EP « Blood Brothers » l’année suivante. Un de ses « hymnes springsteeniens » qu’on connait bien mais qui envoie sec et la présence de Morello en est un aspect essentiel, s’intégrant parfaitement au groupe, donnant un son différent, peut-être un peu plus expérimental, ce qui n’est pas si fréquent chez le Boss, mais peu d’artistes de cette génération se lanceraient dans ce genre d’aventure sonore, Bruce, lui, ose le faire. Et on retrouve ce son inhabituel, avec un effet de wah-wah, dans « Harry’s place » et en plus électronique dans « Down in the hole ». La participation de Morello est donc la (très) bonne surprise de cet album, ainsi que la tournée 2014 d’ailleurs (Steve Van Zandt étant retenu en Norvège pour le tournage de sa série « Lillyhammer »).
Pour le reste, Bruce joue la sécurité sur la plupart des titres. On retrouve tous les éléments caractéristiques de ses chansons sur des morceaux comme « Just Like Fire would », « Frankie fell in love » ou « This is your sword », celui-ci ajoutant des cordes celtiques comme pour rappeler ses racines irlandaises de la même façon qu’il l’avait fait dans « We shall overcome-The Seeger sessions »: une construction lente, une vraie nostalgie qui s’en dégagent et un rythme montant en puissance qui fait accélérer les battements du cœur. "Harry's Place" a été écrit en 2001 pour The Rising ; "Heaven's Wall", "Down in the Hole" et "Hunter of Invisible Game" datent de 2002 à 2008. Springsteen a écrit "The Wall" vers 1998 sur la base d'une idée de Joe Grushecky. Il raconte l'histoire de la visite de Springsteen au Vietnam Veterans Memorial à Washington, DC, et les souvenirs de Walter Cichon, un musicien du New Jersey qui n'est pas revenu de la guerre. "Walter était l'un des grands premiers rockers de Jersey Shore, qui, avec son frère Ray (l'un de mes premiers mentors en guitare), dirigeait les Motifs. Les Motifs étaient un groupe de rock local qui était toujours au-dessus de tout le monde. Brut, sexy et rebelles, ils étaient les héros que vous aspiriez à être", a expliqué Springsteen. Ce morceau avait été parfois joué lors de ses tournées acoustiques. C’est Morello qui a également suggéré deux reprises, " Just Like Fire would ", du groupe punk rock australien The Saints, et " Dream Baby Dream " du groupe protopunk Suicide. La plupart des morceaux ne sont pas désagréables mais un peu pâlichons ou faiblards par rapport à « American Land (41 shots) », lourd de sens. Sauf que ce morceau était interprété en concert depuis 2000 régulièrement, les fans le connaissaient donc bien et il figure en inédit sur le fantastique « Live in New York City » (2000). Qu’apporte la version studio ? Pas grand-chose je trouve, le morceau étant tellement fort qu’il constituait un moment très puissant de ses concerts. La version retravaillée avec Morello et le groupe au complet de « The Ghost of Tom Joad » n’est pas mal du tout, ajoutant une autre dimension à la version acoustique de 95, mais la fait-elle oublier ? Pas franchement. La reprise finale de « Dream baby dream » du duo Suicide n’est pas non plus une surprise totale pour ceux et celles qui ont assisté à la tournée acoustique 2005 : Bruce clôturait tous ses concerts avec ce morceau hypnotique et là, on restait ébahis dans la salle, un peu sonnés, je me souviens comme si c’était hier de sa prestation à Bercy, éblouissante. Bruce avait été influencé par Suicide, duo minimaliste et radical, alors qu’il enregistrait ce qui allait devenir « Nebraska » au début des années 80. Le morceau est fabuleux mais là aussi la version live était très puissante, difficile alors de rivaliser. Il n’en reste pas moins que ce « Dream baby dream » est le meilleur morceau de l’album. La tournée 2014, conçue comme une suite du « Wrecking Ball Tour », a donc vu la participation de Morello et est passée pour la 1ère fois par l’Afrique du Sud et l’Océanie, mais pas par l’Europe.