Le Boss n'est décidément pas prêt de s'arrêter tandis qu'il continue de poursuivre sa route à travers le monde et plus particulièrement les États-Unis pour y évoquer sa vision de la vie, de l'humain ainsi que des laissés-pour-compte et recalés du système. Toujours accompagné par un E Street Band qui aura subi d'importantes pertes, il sort en 2014 High Hopes, album regroupant quelques reprises, chansons réarrangées ou jouées pour la première fois en studio après avoir testées en concert.
Depuis un The Rising assez réussi, les efforts studios de Springsteen sont plutôt décevants et, comme The Ghost of Tom Joad au coeur des années 1990, Wrecking Ball semblait, toute proportion gardée bien évidemment, apporter un nouveau souffle à sa carrière, confirmé avec High Hopes. Contrairement à une grande majorité de ses albums les plus mémorables (Darkness on the Edge of Town, Nebraska ou encore The Wild, the Innocent & the E Street Shuffle) qui, à chaque fois, formait un vrai ensemble, avec une ambiance cohérente et donnant l'impression de participer à un voyage avec le Boss, que ce soit musicalement ou dans les textes, sur le territoire américain, ce n'est plus vraiment le cas ici. High Hopes regroupe différentes humeurs et époques de Springsteen, on retrouve par exemple des combats qu'il tenait le siècle dernier mais qui sont encore d'actualité (un système qui accentue le creux entre les riches et les pauvres, le meurtre d'un jeune noir innocent par la police...) avec toujours son style si unique où il brasse différents genres de la musique populaire américaine et mêle toujours avec brio de nombreux instruments (saxophone, piano, violon, guitare etc).
Évidemment, High Hopes ne se hisse pas non plus à la hauteur de ce qu'à pu faire le Boss de ses débuts jusqu'à Nebraska, quelques rares chansons sont un peu en dessous, à l'image du déroutant Harry's Place et l'ensemble n'est pas non plus toujours transcendant, mais ça n'en reste pas moins une bien belle réussite. Springsteen semble prendre un plaisir fou à fouiller dans ses tiroirs pour réarranger plusieurs chansons composées dans un passé plus ou moins proche et se montre à de nombreuses reprises fort inspiré, que ce soit lui, ses textes et sa voix, ou les musiciens, qui jouent très bien ensemble et savent se montrer brillants solistes lorsqu'il le faut. Deux titres en particulier avaient déjà évoqué mon intérêt avant même que je n'écoute l'album, American Skin (41 Shots) et The Ghost of Tom Joad, la première avait déjà suscité un vif débat en 2000 (elle évoque la mort atroce d'un jeune noir par des policiers new-yorkais) tandis que la seconde est une reprise électrique de la magistrale version acoustique. Deux chansons où le Boss montre qu'il est toujours capable d'être bouleversant (surtout pour la première citée, aidée par la patte si talentueuse de Tom Morello) et de réarranger ses propres chansons pour en faire ressortir une tout autre dimension. Elles justifient l'intérêt de cet album qui semblait, à première vue et c'est trompeur, n'être qu'une compilation regroupant des inédits et reprises.
Sinon le Boss sait se montrer efficace, à l'image de l'ouverture bien rock High Hopes ou de la reprise des Saints Just Like Fire Would, se faire émouvant à quelques reprises, notamment pour The Wall mais surtout la magnifique Dream Baby Dream (qu'il sublimera littéralement en live), initialement du groupe Suicide ainsi qu'à explorer des facettes différentes et peu utilisées par lui jusque-là, comme en témoigne la ballade aux accents irlandais This is Your Sword. Là où la production avait parfois été défaillante dans ses précédents albums, elle est ici impeccable, assez sobre et toujours adéquate à l'univers de Springsteen, sachant faire ressortir les différentes sensations des morceaux (l'émotion, l'envie de bouger, etc). Il trouve généralement le bon équilibre, passant d'une chanson à l'autre avec fluidité tandis qu'il prépare au mieux une nouvelle et longue tournée mondiale, prêt à se retrouver dans un de ses rôles préférés, directement face aux publics, et c'est toujours avec sincérité qu'il le fait.
Plus de quarante années après son premier disque, le Boss continue de voyager sur les routes, utilisant sa plume pour mettre en avant les dérives de ce monde et évoquer la vie et l'humain, et c'est avec bonheur que je le rejoins. Avec High Hopes il se montre inspiré et sincère, évoquant différentes périodes de sa vie et alternant entre différents tons, que ce soit dans le rock ou l'émotion. Définitivement The Boss.