Mono... maniaques, certes
Critique couplée : Rien + MONO
De par son tempo ralenti, ses morceaux qui s’étirent en longueur et une épure des textures instrumentales, le post-rock est un style qui se prête admirablement au lyrisme et à la peinture de grands paysages naturels. L’utilisation fréquente de samples vocaux – prisés notamment par Godspeed You! Black Emperor – participe d’autant plus à la construction d’une narration toute particulière, qui permet à l’écoute de certains disques une expérience quasi-cinématographique pour l’auditeur.
Naturellement, au même titre que la musique psychédélique vise à la transe, il s’agit là d’un idéal que peu parviennent à atteindre. Et de fait, en dépit de quelques joyaux (par GY!BE, Mogwai, Do Make Say Think entre autres), le post-rock a fini par tourner en rond, prisonnier de ses gimmicks sans plus parvenir à tisser une véritable narration. Les grenoblois de Rien et les japonais de MONO sont deux groupes apparentés à cette mouvance, bien que leur art respectif ne saurait être plus dissemblable. L’un nous embarque pour un voyage varié riche en rebondissements, tandis que l’autre tourne en boucle dans un registre unique devenu un cliché du genre.
Hymn to the Immortal Wind, paru en 2009, fait en quelque sorte office de disque « deluxe » pour MONO. Cinquième album du groupe, celui-ci s’offre les services de Steve Albini à la production et d’un orchestre classique. Malheureusement pour les japonais, il semble que « plus de moyens » ait ici rimé avec paresse. En dépit de la virtuosité évidente des musiciens, de l’intensité de leur interprétation et même d’une histoire papier fournie avec le CD pour accompagner la musique, difficile de s’intéresser à ce que le disque raconte. La plupart du temps une mélodie simple est répétée pendant une dizaine de minutes et ce qui constitue la narration du morceau est simplement l’évolution dans l’habillage de cette mélodie. Il n’est pas question de remettre en cause la recette en soi – car elle a eu ses heures de gloires (on pense à l’éclatant « Mogwai Fear Satan »), mais plutôt de douter de la façon dont elle s’inscrit au sein d’un album plus vaste. Et en ce qui concerne Hymn to the Immortal Wind, le ad libitum se mue au bout du compte en ad nauseam. Très vite il devient (trop) facile de prévoir à l’avance ce à quoi on peut s’attendre : une mélodie simple jouée par un instrument – guitare, piano, violon ; rayer la mention inutile, quelques drones orchestraux en fond, puis une lente montée en puissance, une retombée dans un mode épuré et un final qui explose à grands coups de roulements de toms, de couches de violons et de guitares emphatiques. Ce qui convient très bien à un morceau seul finit par causer un profond ennui lorsque la formule est répétée sur plus d’une heure de musique… On perd le fil, malgré le son travaillé, la production aux petits oignons, les mélodies jolies ; Hymn to the Immortal Wind est un disque trop sûr de sa force, qui se repose sur des lauriers qu’il a usurpés à plus courageux que lui.
Ecoutons plutôt ce que les français de Rien ont à nous conter. Soyons clair d’entrée de jeu : l’appartenance du groupe à la scène post-rock est discutable ; de longs morceaux majoritairement instrumentaux, l’installation d’une narration : voilà ce qui nous intéresse ici. D’ailleurs, les français sont les premiers à rejeter cette étiquette qu’ils trouvent trop réductrice. C’est un véritable périple dans lequel nous embarque le groupe avec Il ne peut y avoir de prédiction sans avenir. Un voyage jonché d’escales passionnantes, tantôt contemplatives tantôt agressives, parfois burlesques, le plus souvent enivrantes de légèreté. La construction du disque prouve qu’il ne suffit pas de grand-chose pour planter un décor et construire une narration : quelques paroles graves délivrées à demi-mot, un sample de Robert Mitchum qui nous cause d’amour et de haine, des chants de sirènes, quelques touches de spoken-word et un monologue pour clore l’histoire en lui donnant tout son sens. Juste de simples touches réparties tout au long du disque pour entourer des morceaux variées ; il n’en faut pas plus pour que notre cerveau ne se construise lui-même sa propre histoire autour de ce propose le disque. Rien construit des morceaux à tiroirs dans un scénario rempli de rebondissements : les images viennent d’elles-mêmes à mesure que les rythmes se syncopent et que les mélodies se télescopent, en perpétuelle évolution.
La différence de qualité entre Hymn to the Immortal Wind et Il ne peut y avoir de prédiction sans avenir tient à celle qui sépare un groupe tenant pour acquis la justesse de sa formule de composition – quitte à donner dans une répétition assommante -, et un autre qui parvient à garder l’auditeur éveillé et attentif grâce à un disque riche en péripéties colorées, aux structures changeantes et dont les brefs interludes narratifs donnent au récit toute sa puissance évocatrice. A durée équivalente, c’est bien cette gestion de la narration qui enterre MONO tandis que Rien flirte avec les étoiles…