En l’an de grâce 2020, tous englués que nous sommes dans la tragi-comédie “covidesque” qui semble avoir paralysé le monde et le paysage culturel, on en oublierait presque que des disques sortent et que artistes tentent encore de se faire entendre. En France, la révélation musicale de l’année n’aura pourtant pas tardé à apparaître. Et cette révélation porte un prénom simple, court, direct, à l’image de la personnalité du bonhomme : Hervé.
Auteur d’un EP resté assez confidentiel en 2019, le breton d’origine a cette fois enflammé la presse et une bonne partie du public avec son premier album Hyper. Un nom qui sonne à la fois comme le reflet de notre époque hyper-sécurisée, hyper-connectée, et comme comme un miroir de sa personnalité hyper-sensible et hyper-active. Car pour l’avoir vu sur scène, où il se comporte un peu en chien fou, en athlète, en compétiteur, jusque dans sa tenue, je peux vous dire qu’Hervé vit l’Art. Désolé pour le jeu de mots douteux, mais c’est ce que j’ai trouvé de plus parlant. Il faut dire qu’Hervé, avant de se passionner pour l’électro, était déjà bien investi dans le foot et se voyait devenir joueur professionnel. Il en a assurément gardé le goût de l’effort et de la persévérance.
Hyper, c’est tout d’abord cette pochette sobre, en noir et blanc, où le titre n’apparaît même pas. On se concentre alors sur le portrait, ce regard qui vous attrape, cet air de défi, cette gueule de voyou. Pour le coup, Hervé à l’air hyper-énervé. Mais il y a aussi ce bras qui protège, cette main qui symbolise tant la force que la sensibilité, ce pull blanc comme une laine d’agneau innocent. Bref, un visuel bien chiadé qui conserve un côté énigmatique. Et tout le monde de se demander : mais qui est donc ce jeune brun ténébreux ?
Avec Le premier jour du reste de ma nuit, qui ouvre l’album (coucou la référence à Daho !), Hervé nous cueille avec une basse et un piano bondissants. Le titre est court, mais la rythmique lui permet de poser tranquillement sa voix. Une voix éraillée, un timbre âpre, masculin et profond, où l’on perçoit à la fois la confiance insolente et la fragilité de la jeunesse, comme en témoignent les “nananana” faussement naïfs de cet éphèbe angoissé qui, “le jour, reste dans sa nuit” et semble n’avoir comme échappatoire que la musique.
Plus on avance, plus les sonorités deviennent synthétiques, et l’on comprend rapidement qu’on tient l’un des albums français les plus intéressants de l’année. Le coup d’essai s’avère parfaitement réussi. Bien remuantes, les mélodies de Trésor, Si bien du mal et Des airs de toi deviennent vite entêtantes, addictives… Hyper efficaces. Pour un type qui a bricolé ses démos dans son 9m2 parisien avec trois fois rien, Hervé nous sert une électro-pop plus que convaincante, avec une touche typiquement frenchy, portée par des textes intelligents et assez finement ciselés malgré leur apparente simplicité. Difficile de ne pas penser à Bashung, l’une de ses influences majeures, sur Coeur poids plume, dont les paroles - une sorte de “trio d’errances” : géographique, amoureuse, psychique - sont sans doute les plus représentatives des tourments de l’artiste. Et l’on oubliera pas non plus, loin s’en faut, de se déhancher sur le refrain irrésistible de Addenda, le tube le plus évident de cet opus.
Soulignons-le toutefois avant de terminer : malgré son tracklisting plutôt expéditif, on aurait tort de résumer ce disque à une machine à danser, et son auteur à un beau gosse hypervitaminé. Si la plupart des morceaux nous auront en effet “hyper vite animés”, Fureur de vivre - l’hommage à James Dean n’est sans doute pas innocent : le rebelle qui brûle la vie par les deux bouts, tout ça - amène Hervé dans un registre plus émotionnel, au moins aussi convaincant que le reste. Un titre plus mélancolique, plus posé, qui “tue le temps” et prend le contrepied de ce qu’il annonce, comme une oasis au milieu de toute cette énergie déployée. Ce qui ne l’empêche pas de s’achever sur un beau crescendo. Hervé, reviens-nous vite avec d'autres airs de toi !