La ville est sombre et son air est moite. Chacun s’active autour mais l’on reste tous là, patiemment, comme acculés au sein d’une citadelle aux remparts en tours d’acier. I Let It In and It Took Everything nous interpelle d’abord par son artwork, où la lumière semble éclairer le matériel urbain plutôt que les citadins eux-mêmes. Dès l’introduction du disque et ses claviers rappelant ceux d’Angelo Badalamenti, la sensation d’enfermement est réelle. Derrière la beauté de ces grands bâtiments se cache une réalité beaucoup plus dure, sensorielle mais indicible, onirique comme un voyage à Twin Peaks ou Silent Hill.


« We will dance on moonlit shimmering streets »


Ce deuxième album de Loathe est tout en contrastes. Il n’évite pas la comparaison avec Deftones et son White Pony, l’assume même, au service d’un tout singulier et cohérent. Sur des compositions qui semblent faire le pont entre Slowdive et Vildhjarta, Kadeem France, le frontman du groupe, se fait héritier de Chino Moreno. Par ces comparaisons, il est aisé de comprendre toutes les dynamiques en conflit à l’intérieur du disque, avec une musique qui se construit sur l’opposition entre la spontanéité et le perfectionnisme, la violence et la contemplation, l’ombre et la lumière. Car le groupe s’inscrit largement dans un registre dira-t-on Metalcore ou Metal alternatif, il donne l’impression d’être constamment dans l’urgence. Ce qui, somme toute, a le mérite de sublimer les passages plus mélodiques et aériens qui sont au cœur du disque.


De l’aveu des propres membres du groupe, il faut concevoir ce disque comme une succession de morceaux ayant comme point commun des paroles quasi-révoltées. Il n’y a donc guère de concept album ici, mais simplement une addition de morceaux, comme tant de flèches en direction de la silhouette de ces bâtiments saturés d’obscurité. Le disque fonctionne alors presque comme une thérapie de groupe, en se faisant cri cathartique à l’unisson pour se diriger vers la lumière. En ce sens, les passages en voix claires et autres chœurs ponctuant le disque se révèlent essentiels, et apportent un côté organique magnifiant toute cette distorsion, à la manière de Jesu ou Nothing.


Chacun de ces airs, saturniens autant que nostalgiques, semble se cramponner à nous comme tant de murmures à l’oreille. S’ils sont parfois si lourds, si écrasants, c’est comme pour nous faire remarquer, au milieu de ce vacarme, dans cet affolement de cris et de mouvements, la tranquillité de quelques ruelles bien à l’ombre des grandes avenues. Ainsi, une dernière opposition relevable dans la musique de Loathe, pourrait ainsi être celle structurante entre la simplicité de quelques riffs qu’on jugerait ailleurs presque balourds, et l’ensemble dans lequel ils s’inscrivent, apte à nous toucher viscéralement. Si ces toits qui dessinent la skyline préfèrent une géométrie glaciale à l’élégance des courbes, c’est précisément car ils sont autant chargés de mystère que l’univers qui nous entoure. En outre, si la comparaison d’une musique évoquant l’urbain avec les mégapoles tentaculaires décrites par Verhaeren est beaucoup trop récurrente, force est de constater que, parfois, elle s’applique joliment à des albums sans que l’on ne trouve à redire.


« Let’s search the sky for a while
Collide like two stars for a while »


Il est encore difficile de dire ce que deviendra Loathe, le groupe ne se contentant pas d’additionner une tonne d’influences plus ou moins évidentes, mais les sublimant véritablement. Comme d’autres avant lui, ce disque aurait le potentiel de devenir un album curseur pour un « Metal alternatif » dont la signification exacte demeure encore assez abstraite. Bercés par quelques mélodies qui reviennent en tête sans arrêt, on chante ces hymnes avec presque autant de passions que ceux de disques alternatifs bien moins avouables dix ans auparavant. Je nous revois alors marcher dans ces rues qui paraissent familières, mais dans lesquelles nous ne sommes finalement que deux étrangers parmi tant d’autres. Quelques notes de claviers percent l’horizon et dégagent le ciel des fragments pollués qui nous empêchent de le contempler. L’éclaircie sera probablement temporaire, mais on l’espère marquante au point que son souvenir repassera en boucle dans nos esprits (White Pony, il y a vingt ans, vous vous rappelez ?).


Chronique à l'origine publiée pour le webzine Horns Up

chevaldeglace
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le 29 oct. 2020

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