SOPHIE et Let’s Eat Grandma font grand bruit, et s’évertuent à défendre une approche similaire de la pop qui serait (cochez la case qui vous convient) d’avant-garde/expérimentale/psychédélique. Mais tant Oil of Every Pearl’s Un-Insides qu’I’m all ears semblent plus obsédés par la question de la forme que désireux de pervertir avec malice ce qui constitue la magie de la pop : la couleur et le penchant populaire.
En premier lieu, on serait tenté de dire à SOPHIE et Lets’ Eat Grandma qu’en matière d’avant-garde, ils sont très discrets : la production tape à l’oeil, les beats et les arrangements synthétiques qu’ils mettent en avant sont avant tout ceux d’un autre genre très en vogue, le R’n B qui, après avoir mangé le hip-hop, s’apprête donc, semble-t-il, à dévorer la pop. Il suffit d’écouter les deux titres de I’m all ears produits par SOPHIE (mais qui ne produit pas SOPHIE aujourd’hui ?). La frontière devient tout à coup extrêmement poreuse entre les deux projets tant la similitude dans le son est troublante. Même le traitement des voix, voire la façon de chanter, s’uniformise au point que les deux univers se confondent. On peut même pousser la comparaison jusque dans l’artwork, qui utilise le même violet pas très ragoûtant.
Le Velvet Underground, Bowie, Björk, My Bloody Valentine : au-delà de l’arc en ciel d’identités, ces artistes savaient avant tout composer des chansons. Et malgré les instruments utilisés, l’étrangeté, les structures alambiquées, les ambiances travaillées, cela reste de la pop. Vivante et séduisante. Quand SOPHIE et Let’s Eat Grandma semblent plus tournés vers les mignardises façon Animal Collective, soit la déstructuration forcée de l’écriture de chanson, tout en cherchant l’éclat vibrant de nouvelles couleurs… sans succès. Qui se souvient d’une seule mélodie écrite par Animal Collective ? N’est-ce pas le signe, précisément, d’une incompétence pop ? Les artistes précités savaient garder une ligne claire, une limpidité, une simplicité d’abord aussi, quasi absente chez SOPHIE et Let’s Eat Grandma, qui, à force de complexifier l’enrobage de ses compositions perd toute immédiateté, toute la sensualité que ces voix féminines et ces rythmes ronds pourraient susciter.
Si l’on peut cependant reconnaître aux seconds un certain talent de songwriting, on sera bien incapables, dans les deux cas, de palper les contours d’une identité sonore singulière, d’humeurs particulières. Criard et agité. Puis sobre et lugubre. Ethéré puis noisy. Let’s Eat Grandma et SOPHIE sont tout cela à la fois, et donc pas grand-chose. Dans un registre similaire, c’est-à-dire une approche synthétique et hors-cadre de la pop, Anthony Gonzalez avait réussi à faire d’un duo au départ purement électronique sa chose à lui, soit une odyssée bruyante et séduisante, grandiloquente et sucrée, avec Before the dawn heals us (et dans une moindre mesure, Saturday=Youth). Depuis il s’est lui aussi égaré sur un terrain hybride (lorgnant une fois de plus vers la production R’n B) mais surtout un peu rance et opportuniste. Les Etats-Unis adorent. Comme ils adorent SOPHIE et Let’s Eat Grandma. Pourtant, cette pop là, si elle peut revêtir, aux détours de quelques phrases mélodiques, les habits de la pop, reste trop impure, trop grise et sans cœur pour qu’elle en porte la grâce du nom.