Imany
7.1
Imany

Album de Dinos (2018)

Dinos est un rappeur de la banlieue Parisienne. Et plus précisément de Seine-Saint-Denis, l’un des départements français les plus représentés dans la Rap hexagonal. En effet, le fameux « 93 » a donné source à de nombreuses inspirations dans le mouvement. Et ce, dès l’apparition de cette branche française dans le Rap. On peut prendre l’exemple de Suprême NTM qui ont énormément apportés dans les années 90 ou encore le groupe Tandem qui sont eux aussi aujourd’hui des icônes du département. Ainsi, Dinos sera très vite bercé dans ce Rap comme de nombreux jeunes, notamment de « quartiers ». On y voit très vite cette inspiration dans la vie du rappeur, au cours de l’album que je vais vous présenter.

Cette mise en relation avec la Seine-Saint-Denis est importante pour comprendre le message de l’artiste. Car comme je l’ai dit, son département et plus précisément sa cité de la Courneuve (les 4000) sera un véritable fil conducteur et expliquera une bonne partie du point de vue de l’artiste. En effet, le 93 est l’un des départements les plus pauvres de France. Les cités y sont très nombreuses et côtoient parfois les pavillons de manières très inégalitaires. Cette misère est de plus en plus dénoncée et notamment par les personnes originaires de ces quartiers, au sein de la culture par exemple. En effet, la culture est parfois un moyen où le « plafond de verre » est plus simple à « percer ». C’est le cas notamment dans la musique et pas seulement. On peut aussi prendre l’exemple du cinéma, avec Ladj Ly qu’est lui-même originaire du 93. Et plus précisément de Montfermeil, la cité des Bosquets où justement les inégalités dépeignent très bien ce que je vous ai dit précédemment. En effet, la particularité de la cité des Bosquets c’est qu’elle est à part entière au sein de la ville de Clichy-Montfermeil. Il y a alors une véritable frontière entre les pavillons et cette citée se situant à quelque centaine de mètres. Les Bosquets dépeignent alors parfaitement ces inégalités présentent dans ce département, surtout quand on connait à quel point cette cité a été laissée à l’abandon par les pouvoirs publics créant une ville dans la ville. Un sentiment exprimé parfaitement dans les Misérables et qui sera aussi fil conducteur pour l’œuvre du rappeur qui nous intéresse, Dinos.

On pourra alors penser que le message des rappeurs du 93 aurait tendance à tourner en boucle au bout de 20 ans d’art. Mais non, Dinos va réinventer ce message, ce discours. Afin de nous surprendre et d’innover en cette année 2018. Il ira s’aventurer sur des terrains encore peu communs, tout en préservant cet attachement à son 93. Et surtout à sa cité de la Courneuve, les 4000. Et ce mélange fera de ce projet un véritable tremplin pour le rappeur qui était beaucoup reconnu pour son talent. Mais pas encore à sa juste valeur selon moi et de nombreux auditeurs et auditrices.


Ainsi, l’album Imany va en grande partie se baser sur l’expérience de vie de Dinos au sein de la Courneuve. Il y évoque son quartier avec réalisme, dépeignant ses bons comme ses mauvais, tout en essayant de garder une objectivité qui lui est propre. En effet, au sein de ses œuvres Dinos à tendance à essayer de repousser la subjectivité d’un « mec de quartier » pour avoir un point de vue autre et d’avantage neutre. Non pas pour minimiser ce que subis son quartier, mais d’avantage pour connaître les véritables sources de ces problèmes sans être aveuglé par ses sentiments personnels. Il va alors longuement évoquer les préjugés que subissent les jeunes de « quartiers » et plus particulièrement des habitants de son 93 natal. Il va notamment insister sur le fait qu’il n’a rien d’un voyou. Mais qu’il est plutôt un jeune de quartier comme on le voit quand il dit dans « Hiver 2004 » : « Je suis le quartier mais par la Rue ». Cassant alors le fameux cliché que tout jeunes de quartiers seraient des voyous. Préjugés qui a été très longtemps encrés en France et qui continuent aujourd’hui, même si les mentalités ont tendance à évoluer. Il essaye alors à tout point de combattre les préjugés qui gangrènent l’image de son quartier et de son département d’origine. Tout en voulant garder cette certaine neutralité qui fait la force de ce message. Comme on peut le voir quand il compare sa neutralité à la neutralité historique de la suisse (dans les relations diplomatiques internationales). Et si Dinos veut dénoncer les préjugés de son quartier, il aura aussi la force et l’intelligence d’expliquer les raisons donnant naissance à ces préjugés. En effet, ces préjugés sont nourris par l’opinion public, qui sont eux-mêmes beaucoup influencés par les médias mais aussi par les politiques mises en place en France. Des préjugés qui toucheront de plein fouet des quartiers comme la Courneuve. Et qui feront qu’amplifier se renfermement des cités sur elles-mêmes. Une chose que Dinos souhaite combattre dans cette œuvre, en s’attaquant à ces préjugés par son vécu et par le vécu de ses proches. On peut par exemple évoquer le salut du courage de sa mère tout en montrant la solidarité de sa cité. En effet, le morceau Hiver 2004 où la mère de Dinos part avant 5h du matin au travail, en laissant les enfants à la « nourrisse marocaine » montre ceci à la perfection. On a alors une vision multiple de Dinos. Dénonçant les démons de son quartier comme les meilleurs aspects, auquel il est attaché. Montrant d’un côté cette misère, mais montrant aussi les charmes d’une solidarité de tradition certaine. Une routine auquel il s’est aussi attaché.

Il y a alors une neutralité de la vision de Dinos sur son quartier. Là où il prendra parti, ce sera davantage sur les causes de ces inégalités. Sur les causes du renfermement de ces quartiers et du coup, sur les véritables raisons de ces problématiques multiples. Dépassant alors l’idée de préjugés. Pour cet argument je vais m’appuyer sur le titre que j’ai préféré de l’album qui est pour moi une véritable pépite. Dans le morceau « Les Pleurs du Mal » Dinos livre une master class. Il enchaine les rimes mélancoliques sur un fond de Piano dénonçant avec brio l’isolation des cités. Des rimes travaillées, apportant un véritable message. Comme on peut le voir quand il dit « Tu sais là d’où j’viens, les voix s’élèvent et l’enseignement s’achève une fois qu’l’élève dépasse le mètre 80 ». Ici, il évoque avec subtilité ces inégalités que subissent les quartiers. Notamment dans l’éducation, présageant que nombreux jeunes de la Courneuve arrêtent le lycée avant le diplôme avec le fameux « mètre 80 ». Une inégalité vraie, quand on voit les différences de financements et de personnels entre un établissement de ZUP et un lycée de Paris, par exemple. Cette prise de position non pas dans les préjugés, mais d’avantages sur les causes de cette pauvreté ira toujours plus loin dans ce titre, faisant la magie du morceau. Il ira jusqu’à évoquer les mémoires autour du colonialisme. Qui ont été très longtemps source de débat en France. Évoquant alors un point de vue et des faits longtemps minimisés dans cette mémoire du colonialisme en France. Là encore les mentalités ont tendances à évoluer et des artistes comme Dinos participe à cette évolution qui me semble cruciale. Comme on peut le voir quand il dit dans les « Pleurs du Mal » « À la base on était rois, avec de l’or en guise d’habits. Ils sont venus nous piller, tout ça au nom du christianisme. Nos croyances ne sont pas les autres, elles sont justes esclavagistes. » Dinos après sa neutralité, va donc enfin prendre parti. Mais d’avantage sur des faits et sur les causes qui ont précipités son quartier dans la pauvreté et l’isolement qui donneront naissance aux préjugés connus de tous. Des préjugés dont certains sont vrais, d’autres faux. Mais que Dinos explique d’un point de vu objectif et parfois très loin des médias traditionnels faisant la force de l’art, de la musique et donc du Rap.

En plus de son attachement à ses origines et à son quartier. Dinos va personnaliser d’avantage son Rap au sein de cet album. Le Rap du 93 a très longtemps été dénonciateur, que ça soit par la provocation ou par l’engagement. C’est un peu typique, quand on connait les inégalités évoquées précédemment. Ici, Dinos va prolonger cette tradition avec l’attachement qu’on lui connaît. Restant fidèle à la culture Rap comme on le voit quand il rap : « La France ne m’écoute pas, elle m’prend pour un X-Men. Par ce que j’suis jeune, coupable et libre ». Dans ces paroles il fait alors un clin d’œil à un groupe de Rap français des années 90 pionné dans le genre. En reprenant le titre de leur album phare « Jeune, Coupables et Libres » afin de le placer dans ses rimes. Ce qui montre parfaitement son attachement à cette culture ainsi que son prolongement. Un prolongement qui se fera aussi par l’innovation et par l’apport personnel qu’il va réaliser. En effet, Dinos va en plus apporter un côté d’avantage sentimental à son Rap. En évoquant notamment ses idées noires, qu’elles soient liées aux injustices que subit sa communauté ou qu’elles soient bien plus personnelles. Il ira jusqu’à évoquer ses déceptions amoureuses, choses qu’il répètera encore d’avantages dans ses prochains projets. Il évoque aussi la dépression et donc les idées noires qui le tourmentent alors qu’il n’a pas encore connu réellement le succès. De plus en plus de Rappeurs abordent leurs sentiments à travers leurs titres. Mais le chemin a été long et en 2018 la trap était dominante. Cependant, certains rappeurs vont participer à l’évolution de ces mentalités et à son échelle Dinos en fait partie. En effet, ce que j’aime énormément chez cet artiste, est le fait qu’il reste fidèle à la culture Rap du 93, à ses influences. Tout en apportant cette innovation à travers les sentiments surtout mélancoliques et parfois longtemps tabous dans les quartiers. Dinos le fait alors à merveille gardant des positions d’attachement claires à son quartier tout en voulant évoluer dans sa mentalité et celle de ses pairs.

Une évolution qui sera progressive et qu’on verra au travers de ses différents projets qui iront toujours plus loin dans cette réflexion. On verra par exemple que s’il y a des préjugés sur les cités et sur son quartier. Eh bien, au sein même de son quartier, il existe de préjugés entre les habitants et les communautés. Montrant alors le problème à une échelle toute autre. Qui pourra peut-être déboucher sur une réflexion encore plus large ? Le problème serait-il plus grand ?

Asmara24
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le 3 mai 2022

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