Tupac Shakur est un artiste né à New York en 1971 dans un pays en pleine évolution sociale. Sa mère Afeni Shakur, est elle-même une activiste des droits civiques. Black Panther elle milite pour l’égalité des droits pour tous les citoyens afro-américains. En effet, les Etats-Unis forment un pays qui connait encore de nombreuses inégalités sociales et économiques en 1971. Des inégalités sociales qui vont jusqu’au racisme et au rejet de certaines communautés par l’encrage d’un racisme historique. Le pays a cependant énormément progressé en droits au cours de son histoire. Mais justement cette histoire, cette mémoire n’a pas toujours des plus glorieuses. Les colons européens se sont partagés le territoire lors de la découverte de l’Amérique. Un territoire immense qui prend des centaines d’années à être dompté et à être partagé. Source de grandes tensions et de grands conflits communautaires, sociaux et raciales dans tout le pays. Il y a d’abord eu l’indépendance historique face à l’impérialisme européen qui avait justement colonisé et découvert ce « nouveau monde ». Les « nouveaux américains » d’origine (c’est-à-dire nés sur le continent) vont vouloir s’affranchir progressivement des pays coloniaux comme l’Angleterre et mèneront une guerre d’indépendance avec la célèbre « Tea Party ». Une indépendance qui sera obtenue en 1776 mais qui accentuera de nouveaux conflits et de nouvelle inégalités propres au pays.
L’esclavagisme qui sera une véritable honte pour l’histoire du pays fait partit de ces nouveaux conflits sociaux. L’esclavagisme a été justement apporté par les grandes puissances coloniales et sera prolongé par les « nouveaux américains d’origines » au profit du développement économique. Notamment dans les métiers les plus éprouvants sans jamais prendre en considération leurs droits civiques. En prime, la population amérindienne présente bien avant l’arrivée des colons européens est décimée par ces mêmes colons puis par les « nouveaux citoyens américains » issus de l’indépendance. La « Conquête de l’Ouest » en ai un exemple majeur et flagrant. Car les tribus indiennes au fil des décennies seront repoussées toujours plus loin vers l’ouest jusqu’à être totalement décimées. Peu à peu les voix du peuple, des minorités ou encore des intellectuels s’élevèrent pour devenir parties intégrantes de l’histoire du pays. Les communautés opprimées se rebellent et les droits de l’Homme sont de plus en plus évoqués pour TOUS par l’arrivé du siècle des lumières au 18ème (en Europe).
Une première fracture en ressort par la guerre de sécession opposant les Etats du Nord se tournant d’avantages vers les droits de l’Homme universels et la démocratie. Aux Etats du Sud très conservateurs étant pour l’intérêt de l’esclavage. Cette opposition en plus d’être sociale est aussi économique entre le nord et le sud. Peu à peu le Nord (les Yankees) remporte cette guerre et vont développer l’industrie pilier de leur économie alors que le sud cherche à préserver leurs intérêts dans l’agriculture et leurs valeurs terriennes. La défaite portera un coup dur au sud du pays qui devra au fil des décennies redistribuer les richesses puis les terres et surtout mettre fin à l’esclavage à la fin du 19ème siècle qui était parti prenant de leur économie.
On a tendance à penser que cette guerre « d’idéaux » a fait évoluer majoritairement les mentalités dans tout le pays et notamment dans son histoire contemporaine future. Cependant, les inégalités continuent longtemps de persister malgré l’obtention de droits progressive. Une progression pourtant insuffisante pour mettre fin aux inégalités et au racisme qui restent dominants. Les Etats du Nord réalisent les plus grandes avancées dans cette évolution du droit universel, même si au 20ème siècles les inégalités notamment ségrégatives persistent. À contrario, les États du Sud gardent encore un fort ancrage de la ségrégation passée, les mentalités historiques étant alors très compliquées à changer. On peut voir cette ségrégation persistante au sein du sud dans les années 1960’s avec l’affaire Rosa Parks en Alabama. Elle refusa de s’asseoir à l’arrière d’un bus, places réservées aux personnes de couleurs, seul endroit où ils pouvaient voyager dans le bus. Évoquant et dénonçant pacifiquement cette ségrégation encore criante aux yeux de tous, alors que les USA sortent tout juste de la seconde guerre mondiale contre le totalitarisme nazi. Ce racisme persiste donc malgré l’apparition du droit de vote pour les afro-américains, donnant naissance à de nombreux mouvements civiques comme les « Blacks Panters » dont la mère de Tupac est elle-même issue à New-York (Harlem). Mouvement et mémoire historique que j’évoque car il va beaucoup inspirer son fils dans son œuvre mais aussi dans sa curiosité artistique et son combat. Créant une liberté de penser propre à Tupac Shakur qui se fera à travers sa musique.
Tout au long de son œuvre Tupac sera un véritable symbole de la lutte contre ces discriminations persistantes dans la plus grande puissance mondiale du 20ème siècle, du fait de son histoire et de l’hypocrisie qui peut entourer sa mémoire. Il écrira d’abord des poèmes à son adolescence à Baltimore après avoir quitté New York. Pour bifurquer ensuite sur le Rap en habitant à Oakland sur la West Coast. Art des incompris, art provocateur dénonçant une grande partie de ces injustices. Pourtant les débuts de 2Pac n’étaient pas si violents que la fin de carrière qu’a pu connaître l’artiste chez « Death Row ». Il tenait en priorité à dénoncer ces injustices et persécutions que sa communauté subit encore dans les années 1990. En élevant sa voix au profit d’un changement, son art est provocateur et révélateur d’un véritable mal-être de cette communauté, malgré les nombreuses avancées sociales encore trop isolées et parfois hypocrites. Il poursuit l’héritage du combat de sa mère dans ses textes et ses revendications donnant une véritable force à son œuvre.
Le rappeur deviendra très rapidement un symbole de cette lutte dans le début des années 90’s. Il fera ses débuts dans le groupe « Digital Underground » déjà reconnu sur la West Coast. Région connaissant les débuts les plus prometteurs commercialement parlant dans le mouvement Hip Hop. Très vite, Tupac bifurque vers une carrière solo, enchainant même les rôles au cinéma. Il sortira ensuite ses deux premiers albums solos « 2Pacopalypse Now » et « Strictly 4 My N.I.G.G.A.Z… ». Albums qui montrent les talents d’écriture et d’orateur du rappeur afin de dénoncer justement les différentes inégalités et ironies subit par la communauté afro-américaine, et d’une manière plus large subies par les communautés populaires. Il y dégage une véritable carrure artistique, hypersensible qu’il combine parfaitement à son art. Le titre « Brenda’s got baby » énonce parfaitement ces prises de positions du rappeur, lors de ses deux premiers albums.
Cependant, cette volonté dénonciatrice va très rapidement se transformer en colère et en haine chez l’artiste du fait de nombreux évènements personnels, sociaux et historiques. De par son combat immense, il finit par se perdre dans la violence qui l’entoure et les différentes histoires de gangs de Los Angeles. Ville au centre du succès du Rap dans ce début des années 90’s par la réussite du « Gangsta Rap », mouvement particulier à cette ville et à cette région. Death Row dernier label où signera Tupac avant sa mort prématurée est le plus célèbre mais aussi le plus controversé. Les affaires de violences autour de ce label entraîne alors lentement l’artiste vers la fin de sa carrière et de son existence.
L’album « Me Against The World » est l’une des œuvres les plus marquantes de Tupac Shakur à mes yeux. Par la qualité de son travail mais aussi par la dualité progressive qui s’oppose chez le rappeur tout au long de l’œuvre. Entre volonté de changer les mœurs par son message artistique et dénonciateur. Puis la provocation, la violence face aux injustices criantes qui se poursuivent à la suite de tous ces changements historiques. Cette opposition dans l’album sera maître mot de sa réussite mais aussi de la légende de l’artiste. De plus, la colère du rappeur est en pleine croissance à la suite de différents faits que l’artiste va lui-même subir et on sent cette colère progressive bifurquer dans cet album. Par exemple, un soir Tupac subit des violences policières alors qu’il n’avait pas traversé dans les clous d’un passage piéton. Plus tard, il sera témoin d’une nouvelle violence policière prenant alors à partie les policiers afin de défendre la victime. Il subit aussi un vol à main armé à New-York en se rendant au studio de Notorious Big, célèbre rappeur de la côte Est et ami du rappeur californien. Ces différents évènements ne vont qu’accentuer la violence du rappeur et cette dualité entre rage et révolution artistique et sociale. La dénonciation des opprimés qui était la plus grande source de son inspiration va alors s’opposer à la violence afin de défendre ses idées. L’album « Me Against The World » représente parfaitement cette transition car l’album sort dans les charts alors que le rappeur purge une peine de prison, l’ayant écrit juste avant son entrée. D’ailleurs, ce séjour en maison d’arrêt ne fera malheureusement qu’accentuer cette paranoïa violente de l’artiste et précipitera sa signature chez le label controversé « Death Row ».
Cette opposition au sein même de l’art du rappeur est alors bien plus criante dans cet album car deux parties s’y opposent. Alors que dans « All Eyes On Me » la haine et la violence de l’artiste prendra tristement le dessus. Ainsi, des titres comme « Death Around The Corner » vont prolonger la dénonciation des inégalités subies par les afro-américains. Un discours évoquant alors le peu de choix et d’issus que peut avoir sa communauté face aux inégalités encore bien trop présentes dans la société américaine, issues de son histoire. La ville de Los Angeles est une ville pilier et évocatrice de ces inégalités persistantes par la présence de ses nombreux ghettos comme South Central ou Compton source d’un important communautarisme. Par ses violences policières qui sont majoritaires par rapport à d’autres régions ou d’autres villes du pays. Une situation explosive qui inspirera énormément le mouvement Rap de la West Coast donnant naissance aux émeutes historiques de 92 à LA. Le combat social de Tupac et de toute une communauté est alors juste et est donc sa plus grande source inspiration. Une inspiration qui a aussi été possible par le combat et l’éducation de sa mère. Véritable battante intellectuelle à qui il rend un hommage incroyable dans le morceau « Dear Mama ». Un hommage sincère et fait d’admiration montrant la force de caractère de l’une de ses plus grandes idoles. Un hommage montrant l’importance du combat qui se poursuit malgré certaines évolutions positives mais encore insuffisantes dans ce pays inégalitaire. Des évolutions qui restent encore médiocres dans ces années 90’s car l’hypocrisie est prépondérante pour cacher ces inégalités toujours sources de tensions comme c’est le cas dans la cité des anges.
Parallèlement, la violence, la paranoïa et le scepticisme qui seront monnaies courantes dans « All Eyes On Me » apparaissent peu à peu au sein de cet album que l’on étudie. Un album à moitié lunatique montrant le dilemme de penser de l’artiste. Des morceaux comme « Me Against The World », « Fuck The World » ou encore « If I Die 2Nite » montrent parfaitement cette élévation du scepticisme et de la paranoïa du rappeur. S’éloignant peu à peu d’un message dénonciateur à des fins positives et à un changement utile aux communautés populaires et persécutées vivants ces injustices.
Cet album est donc pour moi primordial dans l’évolution de la carrière de l’artiste et dans la légende qu’il a pu créer tout autour de ses œuvres. Ce basculement progressif est criant dans cette œuvre montrant alors son importance dans le Rap californien. De plus, le parallélisme que l’on peut faire avec le combat de sa mère qui se voulait positif et pour un changement historique est crucial. Montrant à la perfection la dualité entre un message qui se veut révolutionnaire par sa positivité. Et un autre lui aussi révolutionnaire, lui aussi voulant faire élever sa communauté mais cette fois ci par la violence et la provocation quitte à s’y perdre.
L’album représente alors ce basculement progressif, un basculement qui sera ensuite total à sa signature chez Death Row. Label majeur de la West Coast d’un point de vu de la réussite mais aussi de la controverse, puis de la violence. Label dirigé par le célèbre Suge Knight affilié au gang des Bloods de Los Angeles. Le label payera notamment la caution de Tupac qui le fera sortir de prison en échange de sa signature et de son double album « All Eyes On Me ». Plus grand symbole de ce basculement violent d’un rappeur hypersensible qui voulait prolonger au contraire le combat historique digne de sa mère. Tupac finira par se perdre totalement dans cette violence et cette paranoïa malgré la grande réussite commerciale de « All Eyes On Me ». Les diss tracks, les affaires de gangs et ce combat perpétuel causera la perte d’un des rappeurs les plus engagés de sa génération. Aujourd’hui Tupac est un véritable symbole du Rap par la force de son message et de son engagement. Mais aussi par l’évolution dramatique de sa carrière. Une évolution qui sera source de réflexion autour de la violence dans le Rap et qui fera réfléchir de nombreux artistes sur l’importance de cette violence de la rue dans cet art musical. Mettant fin à la grande rivalité entre côte Est et cote Ouest dont Tupac en était l’un des principaux acteurs à sa sortie de prison et après sa signature chez Death Row face au célèbre Biggie qui décèdera lui aussi en 1997.