Hugo TSR est un rappeur parisien du 18ème arrondissement et plus précisément de la porte de la Chapelle, grande porte de croisement de Paris se situant entre le 18ème arrondissement, le périph et donc l’entrée du 93, département de Seine Saint-Denis. Le Paris 18ème et notamment le quartier de Porte de La Chapelle sont depuis longtemps des quartiers défavorisés de Paris comme ça peut aussi être le cas du 19ème. De fortes inégalités persistent ainsi dans ce nord de Paris et surtout dans la capitale dans son ensemble. Le 18ème est aussi très cosmopolite dans la culture et renferme une véritable richesse par sa diversité mais aussi par sa solidarité, de très nombreuses communautés y sont représentées que ça soit des communautés asiatiques, maghrébines ou encore d’Afrique de l’Ouest. Les origines y sont alors multiples.
Malheureusement, les inégalités ne font qu’augmenter à Paris et des quartiers comme Barbès, Porte de la Chapelle ou encore Stalingrad dans le 19ème vont peu à peu connaitre une certaine augmentation de la pauvreté, mais aussi des trafics et faits divers liés à la criminalité. Ainsi que des différents problèmes sociaux qu’engendrent ces difficultés.
En effet, les années 90 vont marquer l’émergence du crack en France, un dérivé de la Cocaïne qui va grandement entacher la vie du quartier d’Hugo TSR. Paris après avoir connu le raz de marée de l’héroïne des pays de l’est, va connaître une nouvelle secousse avec cette drogue ultra addictive. Porte de la Chapelle et donc le 18ème arrondissement, vont être les premières victimes de cette triste émergence qui avait déjà en partie ravagée les Etats-Unis.
C’est dans ce contexte que Hugo va commencer à écrire ses premiers textes, un contexte qui va énormément l’inspirer dans son œuvre mais aussi dans sa personnalité artistique.
Hugo TSR et son groupe TSR Crew seront très longtemps considérés comme du Rap Underground en France, en étant des pionner en la matière par leur indépendance tout d’abord mais aussi par la liberté qui découle de cette indépendance. Hugo TSR va aussi rester très fidèle au boom-bap, tout en apportant sa vision « sale » du 18ème de Porte de la Chapelle. Il va alors sortir son premier album solo en indé avec la « La bombe H » où il place les premières pierres de sa discographie. Il va ensuite sortir « Flaque de Sample » en 2008 qui sera un succès chez un public très spécialisé et chez de nombreux pairs du milieu. Georgio à ses débuts va par exemple y faire référence dans ses paroles par l’importance de ce projet dans sa vie, ainsi que dans son envie de faire du Rap. Des titres comme « Objectif Lune » ou encore « Génération Shit et Grec Frites » deviendront porte-parole d’une génération, mais aussi de nombreux passionnés du mouvement musical. La résonance des projets de Hugo TSR est alors en constante progression et sa manière de dépeindre les faits de son 18ème seront tellement brut, que pour moi Hugo va marquer un véritable virage dans ce « Rap Underground » francophone. Et ce virage va en partie se faire avec l’album « Fenêtre sur Rue ». L’album pour moi le plus abouti de tout son répertoire et un de mes albums favoris du Rap Français.
Cette réputation de Rap « Underground », le parisien va la gagner par son art musical, son style fidèle au mouvement Hip-Hop, mais aussi par la froideur de son récit objectif sur son quartier, son quotidien et l’abandon de la ville de Paris face à ces différentes difficultés. Un récit parfois brut, parfois sombre, parfois « sale ». Je vais tout d’abords m’intéresser à la fidélité du rappeur pour le mouvement, c’est un véritable passionné où les références sont multiples dans ses textes. Il est notamment graffeur, avant de se mettre au Rap et y fait référence de nombreuses fois dans l’album notamment dans le morceau « Dégradation » où les lyrics sont consacrés à cet art considéré pour beaucoup en 2012 comme étant encore une « sous-culture ». Le Mc du 18ème met alors totalement à l’honneur cette branche du mouvement Hip-Hop qui est justement considéré aujourd’hui comme « Underground ». Une branche qui avait atteint une apogée dans la culture Rap surtout à la fin des années 80 aux States. Notamment à New-York avec le métro recouvert de graff ainsi qu'à Paris dans les années 90. Ici, Hugo TSR représente les graffs alors qu’on est en 2012. Le Rap a déjà énormément évolué, laissant place à un Rap de plus en plus « capitaliste/commercial ». C’est donc important pour moi d’évoquer cette fidélité au mouvement originel, une envie de préserver cette culture qui se ressent tout au long du projet. Et en effet, cet album pu le Rap.
Le choix des productions est précis et est énormément basé sur les samples, grande richesse du Rap des années 90. Ici, les samples sont très souvent froids et sombres pour appuyer le récit du rappeur de Porte de la Chapelle. Ce « DarkSide » est travaillé au millimètre près afin de nous enfermer totalement dans le quotidien de l’artiste. Et le choix de ces productions ainsi que des samples est crucial. Car dans cet œuvre l’un des buts premiers de l’artiste, est de nous plonger dans ce quotidien. Pour rendre, cette immersion totale, l’artiste va introduire des interludes de films à l’album ou à certains morceaux rendant cette immersion encore plus forte et encore plus réaliste. Nous plongeant dans le sentiment d’enfermement que connaît Hugo dans son quartier. Un sentiment d’être bloqué dans un quotidien atteignant son paroxysme avec le titre « Fenêtre sur rue » reprenant ainsi le titre de l’album.
Dans ce titre, Hugo nous présente certainement ce qui pourrait être une journée quotidienne à Porte de la Chapelle et tout ce qui en découle. Toujours avec cette froideur caractéristique d’un récit blasé du rappeur. L’une des plus grandes forces de l’artiste est l’association de ses punchlines au récit de son quotidien qui fait la puissance de ce projet mais aussi sa qualité unique. Comme on peut le voir dès le premier titre avec les lyrics « On a la dalle, pas celle qu’on enlève avec une Pasta Box » ou encore « Malgré les paraboles, dur de voir plus loin qu’le pas d’ta porte ». Dès le premier morceau les punch’s sont saillantes et perspicaces et vont se prolonger tout au long de l’album, appuyant comme je l’ai présenté ce discourt objectif mais cru loin des médias traditionnels. Car quoi de mieux que le récit des habitants eux-mêmes ?
En prime du récit de son quotidien, Hugo TSR va apporter une véritable touche personnelle par son écriture et la mise à nue qui découle de cette écriture et de sa sincérité. Évoquant ainsi ses consommations de toxiques, ses galères financières pour subvenir à ses besoins. Il va par exemple allez jusqu’à évoquer ses difficultés pour finir les fins de mois, pour se nourrir allant à l’opposer du matérialisme de certains rappeurs. Son discours porte sur ses propres tortures intérieurs face à un monde qu’il ne comprend plus, où il s’y sent perdu. Il va notamment, montrer les différentes incohérences de l’hyper-capitalisme dû à la monter de la mondialisation. Ainsi que l’impact qui en découle, sur lui, sur son quartier et sur son quotidien. Il ira jusqu’à dénoncer les mêmes inégalités et les mêmes incohérences au sein de son propre pays où il expose là encore ses différentes idées politique, toujours avec la même résonance artistique ainsi qu’avec une provocation parfois unique. Des remises en question qu’il portera jusqu’à l’extrême et à son quartier en lui-même où le titre « Fenêtre sur Rue » montrera parfaitement ces remises en questions. À des échelles encore plus petites, à des échelles humaines, à l’échelle du rappeur lui-même.
L’album « Fenêtre sur Rue » est alors pour moi un des grands classiques du Rap français par l’immersion dans ce 18ème arrondissent en plein début des années 2010 où le quartier connaît malheureusement un véritable pic de pauvreté et surtout de problèmes sociaux dû à l’émergence du Crack. En effet, en ces années le quartier était le centre de la consommation de cette drogue du pauvre à Paris. Un lieu clandestin, la « colline du crack » y était réservé pour consommateurs et modous. Une zone de non-droit, entachant la vie du quartier dans son ensemble et de ses habitants. Un problème qui fut très longtemps présent au sein du quartier, laissant de nombreuses personnes à la merci de la misère que peut engendrer ces dérives. Un problème qui n’est toujours pas résolu aujourd'hui, mais qui a été déplacé dans Paris comme on a pu le voir ces dernières années dans le 19ème arrondissement, après le démantèlement de la fameuse "colline du crack" située justement à Porte de la Chapelle. Hugo dénonce ainsi une certaine hypocrisie des pouvoirs publics envers ces quartiers laissés à l’abandon, fruit des inégalités à Paris.
Je trouve ça alors fou d’avoir l'avis objectif d’un habitant de ce quartier de Porte de la Chapelle, un avis sous la forme d’art qu’est le Rap et la musique. De plus, comme je l’ai montré, par son indépendance Hugo TSR va livrer un récit brut. Tout en restant fidèle à la culture Hip-Hop et surtout, en lui rendant hommage de la meilleure des façons. Par la qualité de ce projet, mais aussi par les convictions sincères du rappeur. Très loin du Rap commercial qui avait dominé au sein du grand public hexagonal. C’est pour ces différents arguments évoqués tout au long de cette critique que Hugo TSR va être considéré comme un grand pilier du Rap Underground en France.
Des convictions qu’il préservera tout au long de sa carrière malgré une véritable évolution du Rap en France. Allant jusqu’à dire dans son dernier projet : « J’suis pas underground. Underground, c’est d’jà trop mainstream… »