Magistral.
Unique épopée solo à ce jour pour Shurik'n (IAM), mais quelle épopée ! Oncle Shu livre ici une copie proche de la perfection. Un album sincère, écrit avec le cœur et produit avec amour. Un joyau...
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le 6 janv. 2012
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Shurik’n est un rappeur marseillais, membre du groupe d’IAM. Il est aujourd’hui l’une des légendes du Rap Français par son travail acharné et son art. La carrière « d’Oncle Shu’ » avec IAM est synonyme de très grande réussite, dans le milieu du Rap et dans sa démocratisation dans les années 90. IAM va être l’un des premiers groupes de Rap français à obtenir une notoriété qui dépassera les frontières de ce mouvement encore Underground à l’époque. Contrairement à des genres musicaux comme le Rock ou encore la variété française alors dominants durant cette période. Les deux premiers albums du groupe vont alors poser les premières fondations. Des fondations novatrices en « province », le Hip-Hop étant totalement concentré au sein du grand pôle parisien. Des groupes comme Ministère A.M.E.R, Suprême NTM ou encore Assassins sont les premiers pionniers du genre dans l'hexagone. Cependant, ces groupes sont tous concentrés sur Paris et sa banlieue, le Rap n’étant pas du tout « MainStream ». D’autant plus que durant les années 90 le milieu culturel était énormément concentré lui aussi sur la capitale. Que ça soit dans la musique, dans le cinéma ou même le théâtre. Des villes comme Lyon, Marseille ou encore Bordeaux n’ont pas la même influence qu’aujourd’hui. Et il était alors bien plus compliqué pour un artiste dit de « province », de se faire une place s’il n'était pas sur Paris. Cette visibilité est d’autant plus dure à obtenir dans le milieu du Rap, par la réputation qu’à cet art en 1993 par exemple. Un genre musical considéré par le plus grand nombre comme étant une sous-culture, pratiquée par des « voyous ». Et ce sont des artistes comme IAM, Assassin ou MC Solaar qui vont permettre cette démocratisation. Une démocratisation qui ira toujours plus loin, d’artistes en artistes, de progrès en progrès tout en restant dans une évolution croissante certaine. Faisant aujourd’hui du Rap l’un des « genres » musicaux les plus écoutés dans le monde et surtout dans cette situation qui nous intéresse, en France.
Cette évolution se fait parallèlement à la croissance exponentielle du Hip-Hop aux Etats-Unis tout en s’en inspirant. Si le Rap est ce qu’il est aujourd’hui en France, c’est en partie par cette inspiration venue des USA où les progrès dans le Rap sont constants et novateurs. Les rappeurs français vont alors s’en inspirer. Pour développer leurs propres particularités au sein des différents mouvements qui étaient déjà présents dans le Rap américain dans les années 90. On peut par exemple penser aux inspirations californiennes du Doc Gynéco qui reprendra les sonorités du G-Funk de Los Angeles. Ou encore, IAM le groupe de Shurik’n qui va énormément s’inspirer du Rap New-Yorkais et notamment du groupe Wu-Tang Clan. C’est ces inspirations qui vont construire et enrichir le Rap français permettant son progrès. Des inspirations parfois différentes, qui feront la richesse du Rap et qui permettra son développement à un plus large public.
IAM composé de Shurik’n, Akhenaton, Freeman, Dj Kheops, Imhotep et Kephren est l’un des groupes qui va permettre ce développement. Un développement qui sera marqué, au sein même de la discographie du groupe. « De la planète Mars… » et « Ombre est lumière » vont marquer les premiers signes distinctifs du groupe, ainsi que leurs premières reconnaissances. Des albums où les références au mouvement Hip-Hop sont primordiales, donnant les premiers codes du Rap français à Marseille. Que ça soit par le style comme par l’histoire, marquant cette démocratisation progressive. La force d’IAM lors de ces deux premiers albums est qu’elle ira beaucoup moins dans la provocation qu’un groupe comme Suprême NTM. Marquant ainsi les premiers « tubes/singles » dans le milieu du Rap français. C’est le cas d’IAM avec « Je danse le mia », on peut aussi penser au « bouge de là » de MC Solaar. Marquant ainsi la montée progressive du mouvement Hip-Hop en France et surtout une démocratisation croissante qui ne se cantonne plus aux auditeurs de banlieues. Vient ensuite, le premier album d’Akhenaton, membre d’IAM qui sera un véritable succès et un véritable classique du Rap français en 1995. AKH poursuit l’identité du groupe tout en la rendant plus sombre, moins sujette au second degrés et de plus en plus engagé face aux difficultés que rencontre la ville de Marseille. En plus de ces caractéristiques, AKH va développer un véritable story-telling s’inspirant de ses origines italiennes et de l’histoire de ces mêmes origines. Tout en l’impliquant au mouvement Hip-Hop et à son amour pour Marseille, ville cosmopolite et de caractère. Mais l’année qui marquera un tournant tout autre pour IAM, est l’année 98 avec la sortie de leur classique « l’École du micro d’argent ». Album qui rentrera très vite au "Panthéon" du Rap français par son apport dans le milieu. En effet, cet album est source de nombreux morceaux devenu maintenant classiques. Les productions sont ultras travaillées par DJ Kheops, s’inspirant des meilleurs producteurs New-Yorkais et leur magie du sample. En plus de ces sonorités typiques du "Boom Bap" New-Yorkais qui connaissait un vrai succès aux USA en 1995. AKH et Shurik’n vont donner naissance à des récits typiques à la ville de Marseille, très loin du pôle de la capitale parisienne bien plus au Nord. Chaque particularités marseillaises seront travaillées pour les rendre uniques dans le Rap français de l’époque. Afin que cette différence avec la scène Parisienne devienne une véritable force. Une force qui se développera et atteindra son apogée de l’époque, cette fameuse année 98. Année donc de sortie de "l’Ecole du micro d’Argent". Mais aussi de l’album qui nous intéresse.
En effet, 1998 est aussi l’année de sortie du premier album solo et studio de Shurik’n. Album qui sera lui aussi un véritable classique du mouvement et qui marquera au fer rouge cette fameuse année pour le Rap marseillais. Il est alors très important de montrer cet investissement d’IAM, ce travail de longue haleine pour se faire un nom dans une scène musicale trop concentrée dans une seule ville hexagonale. Un investissement qui fut une véritable réussite quand on voit aujourd’hui l’importance de la scène Rap à Marseille. Ainsi que l’émergence d’artistes comme la Fonky Family ou le 3ème œil, provoquée en partie par ce travail de fond d’IAM et qui suivra le cheminement déjà tracé par les efforts de Shurik’n et AKH.
L’importance du Rap marseillais s’est alors fait progressivement, pour donner en 98 certains des meilleurs projets de son histoire. Un panthéon déjà fondé sur « Ombre est Lumière » et sur « Métèque et Mat » de AKH en solo. Mais un panthéon qui va connaître donc cette année 98, un véritable apport par l’album commun du groupe, mais aussi par le premier album studio de Shurik’n « Où je vis ». L’apport de cet album est considérable pour moi. Et se base sur plusieurs critères qui vont faire de cet album un classique du Rap marseillais mais aussi du Rap français.
Tout d’abords, je vais m’intéresser aux influences et références musicales que peut comporter cette œuvre de Shurik’n. Les productions musicales sont majoritairement travaillées par DJ Kheops qui venait aussi de réaliser « l’Ecole du Micro d’Argent ». Et qui est donc DJ et producteur du groupe d’IAM dont Shurik’n est lui aussi issu. Comme pour "L'École du Micro d’Argent", les productions sont en grandes parties basées sur l’art du sample. Des samples très inspirées du "boom bap" new yorkais. Un boom bap sombre où la technique d’écriture est de mise. Afin de réaliser les meilleurs jeux de mots, les meilleurs placements face à l’hypocrisie d’une société rejetant les « quartiers » pour le profit et le clientélisme qui est propre à la ville de Marseille. Et cette inspiration de la "East Coast" d’IAM est significative dans leur écriture et dans le choix de leurs productions. Dans « Où je vis », on retrouve aussi des sonorités inspirées de la culture asiatique. Notamment dans les samples et les références comme a pu le faire le "Wu Tang Clan" en 1993 à New York. Une proximité avec la scène New-Yorkaise voulu par le groupe marseillais dans « l’École du micro d’argent » et par Shurik’n dans son premier album studio. En effet, IAM iront jusqu’à collaborer avec des rappeurs américains affiliés au Wu Tang sur le morceau « Regarde » de « l’École du Micro d’Argent ». Montrant ainsi les différentes inspirations pour ce groupe légendaire américain et surtout pour ce "boom bap" technique et sombre faisant la particularité de la scène New-Yorkaise de l’époque. De plus, Shurik’n exprime une véritable passion personnelle pour la culture Asiatique et Orientale y faisant des références bien plus nombreuses que sur les albums du groupe marseillais. Le premier titre nous met directement dans le bain avec "Samouraï" qui est un hymne à cette combinaison entre Rap sombre et sonorités aux inspirations asiatiques. Des sonorités aux inspirations parfois contraire au Rap mais qui sont travaillées pour donner une véritable harmonie entre ces différents univers. Un album aux influences multiples, donnant une véritable force au projet. Car oui les influences de cet album solo sont multiples. On a donc ces influences du sample New-Yorkais, mais aussi des sonorités orientales tout ceci combinés au récit marseillais de Shu’. Un récit qui en plus de ces sonorités, va s’inspirer et se construire autour de la cité phocéenne. Car, en plus des codes venant du Rap New-Yorkais, Shu’ va s’inspirer et décrire son Marseille avec brio.
Tout en gardant les codes de « base » du Rap. Il va apporter une particularité Marseillaise à son projet. Il va faire honneur à sa ville que ça soit par ses aspects positifs comme négatifs. Et c’est là qu’IAM a aussi fait la force de son album « l’Ecole du micro d’Argent ». Et c’est aussi ainsi que Shu’ va faire de « Où je vis » un classique. Par cette fidélité à Marseille, à sa communauté et à sa culture cosmopolite. Des caractéristiques d’une ville bien différente de Paris. Et cet amour pour Marseille résonne dans les textes de cet album autant que les problèmes que dénonce Shu’. Il y a alors une véritable dualité entre cet attachement à la ville et les problèmes que peut connaître Marseille. En effet, Marseille est une ville très inégalitaire ou l’extrême pauvreté peut côtoyer la richesse. Où les inégalités n’ont fait qu’augmenter au court du temps. Certains quartiers sont totalement laissés à l’abandon. La médiatisation des années 90 étant totalement différente de celle d’aujourd’hui, on a alors beaucoup moins conscience de cette misère et cet album va permettre de mettre des mots sur ce ressentis. « L’école du Micro d’Argent » va montrer à la perfection cette dualité de sentiments pour la ville de Marseillaise et « Demain c’est loin » est le point d’encre de mon argumentation. Durant 10 minutes Shurik’n et AKH décrivent leur ville à la manière d’un documentaire, tout est brut, froid et sale montrant une image bien loin des médias traditionnels de l’époque. Shurik’n va prolonger ce discours dans son album solo. Cette volonté de décrire ce quotidien, tout en y appliquant ses influences les plus personnelles comme c’est le cas avec la culture asiatique.
Cependant, ce qui me semble le plus important au sein de cet album, c’est la mise en relation de ce quotidien Marseillais avec ces différentes influences musicales et surtout avec le vécu personnel de Shurik’n.
En effet, là où les albums d’IAM étaient très bon musicalement c’étaient par leur façon de représenter Marseille et ses « oubliés ». De dénoncer ces inégalités, qui ne se cotonnent pas aux quartiers nord comme on peut le penser mais d’avantage à l’ensemble de la ville. Car les quartiers sud ont eux aussi de fortes disparités et connaissent eux aussi de nombreux problèmes sociaux, étant pourtant situés près du « centre ». Marseille est une ville inégalitaire mais cosmopolite et IAM montre cette dualité tout au long de ses œuvres. Sauf que Shurik’n va dépasser cette vision dans son album solo. En apportant son vécu personnel à ces problèmes sociaux. Comment il a lui-même fait face à ses épreuves, à ses inégalités. D’origine malgache et réunionnaise il élèvera la voix de certaines communautés à travers son art, représentant ces quartiers défavorisés que peuvent être les quartiers nord par exemple. Il appliquera son vécu avec sa famille, avec sa communauté et son quartier comme ligne conductrice tout au long de l’album. Un vécu qui fait sa force comme il le décrit dans le morceau « Mémoire » où il évoque l’absence de son père. Ou encore le décès d’un de ses amis à l’âge du jardin d’enfant devant ses yeux à cause d’un simple accident, des épreuves qui ont forgées l’artiste. Il y dépeint aussi une véritable philosophie de vie comme réponse aux nombreuses difficultés qu’il a connu dans sa vie comme on le voit dans le morceau « Lettre ». Ainsi chaque morceaux apportent alors une morale, une réflexion comme le faisait IAM en groupe. Sauf qu’ici, Shu’ va être encore plus fort à mes yeux en adaptant ces différentes morales à sa propre histoire personnelle. Servant ainsi « d’exemples » à chaque arguments apportés par Shu’. Il ne se contente plus d’une « généralité » comme dans les titres d’IAM et apporte une argumentation à travers son vécu, tout en représentant ce Marseille déjà décrit par le groupe phocéen. En gardant les influences New-Yorkaises tout en apportant les fameuses influences asiatiques. Là est la force de cet album.
« Où je vis » est alors devenu très rapidement un grand classique du Rap Français. Je pense qu’il est même mon album marseillais préféré. IAM a énormément apporté au Rap en France durant ces années 90, pour aboutir à une année 98 extraordinaire. Qui permettra l’émergence de nouveaux artistes marseillais comme la Fonky Family ou le 3ème Œil qui seront eux aussi en collaboration sur cet album de Shurik’n. Ils sortiront eux aussi par la suite certains classiques du Rap de la cité Phocéenne. Les albums solos de AKH et donc de Shurik’n sont mes projets préférés de la carrière d’IAM, allant même au-dessus du grand classique de "l’École du micro d’Argent". L’apport personnel que vont faire les deux artistes aux fondations du groupe au sein de ces albums solos et studios seront une apogée de ce rap engagé encré dans ce Marseille sombre et dangereux. Une réalité décrite par ses habitants eux-mêmes loin des stéréotypes.
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Créée
le 17 nov. 2022
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