Le sacre du roi cramoisi.
En 1969 sortait le disque de rock progressif par excellence, "In the court of Crimson King", bien souvent sobrement intitulé "In the court of".
L'époque était à la création du hard-rock bluesy et du "prog". Instigateurs du hard rock, le Cream lançait dans son sillage Deep Purple et Led Zeppelin, qui sont à l'origine du hard rock comme genre. En Angleterre, le hard rock donc. Et puis le progressif aussi : Soft Machine, Pink Floyd. Mais aussi Genesis et Yes, chacun de ces groupes ayant une forte personnalité musicale, et plus particulièrement "prog".
Mais le parfait album, sans faute, croisement des genres hard rock et progressif justement, revenait à King Crimson. Comme beaucoup de chefs-d'oeuvres, tel "Pet sounds" (1966) des Beach Boys, l'album peut quelque peu dérouter à la première écoute. Pour ma part j'ai été dérouté la première fois que je l'ai écouté, en cela que je découvrais un son très "moderne" jamais entendu jusqu'alors.
Un son unique et novateur. Encore aujourd'hui. Les riffs parfaitement aiguisés et acérés de Robert Fripp sont "couillus" et structurent impeccablement l'ensemble très jazz et prog. Le mélange entre ce rock (Fripp) et ce côté plus intellectuel, pompeux et complexe du progressif n'avait jamais été fait et relevait de la perfection. Pink Floyd était plus bluesy, pop, et on ne parlait pas vraiment de "riffs" chez le Floyd. Gilmour était un excellent guitariste, remarquable soliste et improvisateur, et même s'ils composait de bons riffs, il n'étaient pas aussi puissants que ceux de Fripp. Le morceau titre, en ouverture, annonce la couleur, le riff de Fripp déménage tout sur son passage.
Le saxophone est implacable. La batterie, virtuose, est brutale et orchestre le tout. Dès que la voix enraillé apparaît, effrayante, le char est lancé. Pourtant, les autres morceaux, même s'ils sont puissants et ont tout autant d'impact, semblent partir vers des horizons plus obscurs, comme en témoigne les paroles (qui définissent le style très emphatique du style prog). "I talk to the wind" est magnifique : avec sa mélodie à la flûte (où est-ce le son d'une flûte obtenue autrement, aux claviers?), loin de la truculence de Jethro Tull, ce morceau est une sorte de symphonique classique.
La voix de Greg Lake, véritable inconnu à l'époque, est l'une des plus belle, des plus fraîches et enfantines qui soient. Et l'homme chante de manière très racée, d'une élégance qui n'appartient peut-être qu'aux anglais, ou peut-être cela vient-il du fait qu'ils savent tirer le meilleur de leur accent si "lord" pour certains (comme Paul McCartney).
"Call her moonchild" est très mélancolique, et encore une fois Greg Lake fait des merveilles. Des morceaux tels que "Epitaph" et "The court of the crimson king" n'avaient encore jamais été faits à l'époque. Le dernier, "The court of..." est structuré comme un morceau de jazz : après nous avoir balancé la mélodie dans la g..., les musiciens se lâchent dans une sorte d'improvisation (en réalité très bien organisée) free jazz - musique contemporaine et pour finir très "prog". Les musiciens jouent à un question-réponse bizarroïde et schizoïde. Puis, pour clore le morceau et l'album par la même occasion, Michael Giles bas le rappel de la mélodie de sa frappe herculéenne et parfaitement maîtrisée.
Le morceau d'anthologie de l'album reste incontestablement le premier titre. Mais plus encore, au sein même de ce morceau, la meilleure partie est celle qui commence à 5 minutes 25 et se termine à 2 minutes, démonstration de force et de puissance de la virtuosité des musiciens, de laquelle se dégage un véritable plaisir à jouer de la musique.
Nb : comme "The Piper At The Gates of Dawn" (1967) de Pink Floyd, cet album de King Crimson fait partie des disques devant figurer dans toute discothèque digne de ce nom. "Larks' tongues in aspic" (1973) et "Starless and bible black" (1974), sont d'autres chefs-d'oeuvres du groupe, à écouter d'urgence. Et, dans une moindre mesure "Red" (1974), qui montre au passage qu'à une époque les groupes pouvaient sortir 3 albums en moins de 2 ans.