Innamoramento. Quand un seul mot suffit pour soulever des foules rugissant « Mylèèène » ! Après avoir planté le décors de son univers dans la décennie 1980 avec des premiers succès, la décennie 1990 fut l’occasion pour Mylène Farmer (avec son producteur et compositeur Laurent Boutonnat) d’enfoncer le clou grâce à des albums aussi superbes qu’efficaces tant la critique et le public sont emballés. Paru en avril 1999, Innamoramento ne déroge pas à cette règle. Un titre en italien mystérieux pour nos oreilles emprunté à un livre de Francesco Alberoni datant de 1979, et que l’on peut traduire par « le fait de tomber amoureux ».
La belle rousse devient à ce moment une quasi-icône de la musique francophone. Mais peut-être aussi quasi-icône tout court à en juger par les thèmes abordés dans les textes de l’album (ce que nous verrons bientôt) ou même l’imagerie du CD qui joue avec les codes de la pureté, l’aérien et la solitude. La belle pochette signée par le photographe italien Marino Parisotto Vay y est évidemment partie prenante, où la chanteuse de blanc vêtue se trouve à mi-chemin entre l’eau et le ciel, mais prostrée sur sa sombre cage ouverte. Oui les chansons peuvent évoquer la pureté mystique mais également l’obscurité des tourments de l’âme – thème cher à l’artiste. D’ailleurs, fait autant intéressant qu’adéquat, dans le mot « innamoramento » on trouve « amor », « amen » et « mort » ;-)
La piste qui ouvre l’album, « L’amour naissant », nous plonge littéralement dans cette pochette. Une impression réussie portée par le son des vagues, le vent, la mélodie aérienne de la flûte et les paroles pas tout à fait sereines. Plus rythmé, le lead-single « L’Âme-Stram-Gram » mêle le champ lexical de la psychanalyse et celui de la sexualité sur une musique un peu techno. Le clip mystique, qui figure parmi les plus chers jamais réalisés par un artiste français, est inspiré d’une légende chinoise et a nécessité de reproduire en partie la Grande Muraille de Chine. Mylène voit grand pour son retour de 99 ! A contrario, « Pas le temps de vivre » tient plus du minimalisme. Dans cette ballade chantée dans les aigus, la chanteuse y évoque le deuil de son frère décédé en 1996.
La douceur de cette troisième piste laisse ensuite place à « Dessine-moi un mouton » avec sa voix plus grave et ses guitares électriques rappelant l’époque d’Anamorphosée quatre ans auparavant. Les guitares demeurent, de manière moins énervée mais plus ténébreuse, pour l’insidieuse « Je te rends ton amour » ; on passe alors d’une référence littéraire (Le Petit Prince) à la peinture (Egon Schiele). Le lien entre rupture amoureuse et peinture n’est pas évident à comprendre au premier abord, tandis que dans le clip censuré Mylène effectue une confession au Diable et finit ensanglantée ! Une chanson obscure mais dont le crescendo est super efficace. « Méfie-toi » apporte une touche Pop plus légère, louant la suprématie de la force de l’esprit dans les rapports humains.
Puis le ton redevient sérieux pour « Innamoramento », septième piste qui porte le nom de l’album, majestueuse ballade tourmentée dans la pure lignée de celles que sait nous concocter le tandem Farmer/Boutonnat. « Optimistique-moi » mise quant à elle sur un rythme plus scandé ainsi que des paroles évoquant une relation père-fille malsaine (notamment par le « inceste » caché dans « tes câlins cessent toute ecchymose »). Très bon single bourré de bonnes idées tant dans les contrastes vocaux entre couplets et refrains que dans la musique : sonorités électroniques, piano, beat, violons. Pas étonnant qu’après ces chansons de haut niveau « Serais-tu là ? » et « Consentement » paraissent plus banales, surtout la première.
Plus tourmentée que les autres pistes, « Et si vieillir m’était conté » parle explicitement de la mort. Mais la noirceur n’a pas le temps de nous envahir que « Souviens-toi du jour… » ramène l’auditeur du côté de l’espoir. Les paroles abordent le drame de l’holocauste mais je trouve que l’on peut aussi les interpréter comme parlant d’un décès en général ou même de la naissance d’un petit garçon (si si, écoutez le refrain!), peut-être un parallèle avec la naissance d’une union collective ? Et puis le voyage musical prend fin avec « Mylenium » qui permet de clôturer la boucle entamée par « L’amour naissant » notamment par le retour des chœurs africains. La chanson ressemble presque à une incantation, tantôt mystique dans les aigus tantôt tribale.
Innamoramento est donc une invitation au voyage (impression confirmée par le livret façon carnet de voyage), dans l’espace mais aussi dans l’introspection et le mysticisme. Une ambiance musicale surtout faite de mélodies Pop et de ballades farmeriennes différente du Pop-rock Anamorphosée et qui vaudra à l’album, comme ses prédécesseurs, la certification de disque de Diamant en France (entre 1100 et 1300 ventes selon les différentes sources) mais aussi disque de Platine en Belgique, Suisse et Europe. La tournée phénoménale qui suivit la sortie de l’album a mené Mylène Farmer jusqu’en Russie où elle reçut même la récompense de « Meilleur concert du siècle » ! Appeler sa tournée Mylenium Tour, voilà un jeu de mot adéquatement trouvé pour une « Mylène » qui fait le pont entre les deux « millénaires »…
Très plébiscité par les fans de l’artiste, j’aime beaucoup cet album aussi mais je lui fais toutefois le reproche d’être parfois difficile à comprendre. Et ce dans les deux sens du terme, c’est-à-dire du point de vue de l’audition (heureusement le livret aide à déchiffrer ce qui est dit) mais aussi dans la signification des paroles qui sont souvent mystérieuses ou à double-sens. Notons que dans ses textes, l’artiste en profite par ailleurs pour faire découvrir à ses auditeurs des œuvres qui lui plaisent dans le cinéma, la littérature, la peinture ou encore la poésie, et aborde finalement assez peu le thème de l’amour – plus présent dans son album suivant qui est Avant que l’ombre.
Pour finir, je souligne que toutes les chansons me plaisent hormis peut-être la banale et trop aiguë « Serais-tu là ? », et mes préférées sont « Optimistique-moi », « Je te rends ton amour », « Innamoramento » et « Dessine-moi un mouton ». Des mélodies prenantes, des émotions, des textes riches, des sonorités variées bien que cohérentes, des tubes, une voix au top… Bref l’un des meilleurs albums francophones, aujourd’hui un chef-d'œuvre pour moi qu’il m’aura fallu du temps pour apprivoiser. Et comme Mylène le dit elle-même dans « Méfie-toi », « Dieu que l’icône est classe » !