Dieu est irlandais, bluesman et amateur de bons whiskys


L'homme qui m'a ramené au blues



selon le non moins virtuose Eric Clapton.


C'est en 1971 que commence la carrière solo de l'irlandais Rory Gallagher avec un fantastique premier album et il connaîtra des années 1970 pleine, riche et faste avant de voir sa santé se dégrader peu à peu. Véritable missionnaire du blues, il créa un style unique en l'imprégnant de sa culture irlandaise et c'est au cœur de ses années fastes qu'il sort l'un de ses albums les plus mémorables et représentatifs de tout son génie, son second live Irish Tour '74.


Il suffit juste de fermer les yeux et on est transporté au cœur d'un pub irlandais, bourbon en main à écouter et voir l'un des plus grands génies que le blues et le rock aient connu. Dès l'ouverture Cradle Rock et son riff surpuissant, le virtuose irlandais te prend aux tripes comme personne. Sa voix, tout aussi puissante et rauque, se pose sur un arrangement frôlant la perfection avec un batteur en feu (Rod De'Ath), un pianiste génial (Lou Martin) et une basse virtuose (Gerry McAvoy), soit le groupe qui l'accompagnait déjà sur l'excellent album Tattoo une année auparavant. C'est rare que, à ce point-là, la virtuosité des membres sert avant tout un groupe parfaitement rodé, qui se lâche et s'approprie ses propres chansons. En chef d'orchestre Rory Gallagher donne très vite le ton, livre déjà un solo dantesque, ce qu'il continuera bien évidemment à faire tout le long de l'album. La magie et l'intensité qu'il met en place dès les premières cordes de guitares frappées tiennent tout le long du concert et ne baissent jamais.


Ce concert est sans aucune fausse note, Rory et son band alternent des chansons composées (parfois inédites) et des reprises, joués avec sincérités, tripes et puissances. C'est à la sortie de Cradle Rock qu'ils entament une première reprise et nous gratifient d'un hard-blues fabuleux et surpuissant en reprenant I Wonder Who de Muddy Waters. C'est tout à fait le genre de titre qui me fait frissonner dès qu'un instrument entre en scène, avec d'immenses pics d'intensités à l'image des solos qui frisent le génie, tant à la guitare qu'au piano. Et c'est lorsque tu crois que Rory n'est pas capable de maintenir un tel niveau musical et d'intensité, qu'il se surpasse encore plus, à l'image de la seconde reprise où il sort l'harmonica et son acoustique pour reprendre Tony Joe White et le folk As The Crow Flies, nouveau sommet où son feeling à la guitare est merveilleux, tout comme sa communion avec ses musiciens et le public. Sur les dix titres (incluant Just a Little Bit qui a malheureusement été supprimé de certaines versions CD), le groupe joue avec passion et génie, sans retenue et avec une telle intensité, tout en sachant changer de ton à leur guise.


Tous les moyens sont bons pour nous prendre aux tripes, à l'image de l'introduction de A Million Miles Away tandis que Rory, toujours autant inspiré, enchaine les moments d'anthologies. Tattoo'd Lady est sublimée par de sensationnels duels entre guitare et piano, tandis que le démentiel blues au son bien lourd Too Much Alcohol vient convertir les derniers athées que Dieu existe, qu'il est irlandais et amateur de bons whiskys. Sur la deuxième partie du live, la troupe nous gratifie de longs morceaux qui ne manquent surtout pas de saveurs, à commencer par l'immense A Million Miles Avay où Rory Gallagher nous emmène avec lui aux cieux tandis qu'il nous achève avec les géniaux Walk On Hot Coals, Who's That Coming ? et le blues Back On My Stompin' Ground (After Hours) avant de conclure en beauté avec Just a Little Bit, une de mes favorites de l'irlandais qu'il ne manque pas de sublimer en cette fin de concert. Chaque musicien finit en apothéose avec ce rythme lourd et cette ambiance de bar qui prend peu à peu fin, avec 30 secondes de slow traditionnel pour quitter les cieux et remettre pied à terre...


Malheureusement et ce assez vite, à partir des années 1980, l'irlandais diminua sa production et ses concerts et connut plusieurs problèmes de santé, notamment dû à l'alcool. Il s'éteint un triste jour de 1995 à Londres à 47 ans mais laissa derrière lui un formidable héritage. En attendant, il suffit juste de fermer les yeux, de mettre ce disque et de se laisser transporter dans les nuits alcoolisées des bars irlandais des années 1970 où un virtuose vient, avec sa troupe, précher la bonne parole, à savoir du blues qui prend aux tripes, des solos démentiels et des riffs bien lourds. Amen.


Un jour, un journaliste demanda à Jimi Hendrix :



Qu'est ce que ça fait d'être le meilleur guitariste au monde ?



Réponse de Hendrix :



J'en sais rien, demandez à Rory Gallagher.


Docteur_Jivago
10
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Top 10 Albums, Répertoire Musical, It's only rock'n roll... (but I like it !), 111 pour l'éternité (côté musique) et Une année, un disque !

Créée

le 21 avr. 2016

Critique lue 1.6K fois

32 j'aime

7 commentaires

Docteur_Jivago

Écrit par

Critique lue 1.6K fois

32
7

D'autres avis sur Irish Tour ’74 (Live)

Irish Tour ’74 (Live)
Hypérion
9

Nice one Rory ! Nice one son !

Avec Irish Tour '74, Rory Gallagher tenait son live le plus abouti, absolument jouissif à chaque titre égrené. Non pas que Live in Europe soit passable, il reste un plaisir sans nuage, mais Irish...

le 4 févr. 2014

21 j'aime

1

Irish Tour ’74 (Live)
Raider55
7

Les morceaux rallongés de solos sauvent le son médiocre

On peut être grand fan d'un artiste et apprécier modérément les Lives enregistrés. Pour le coup, les griefs ne proviennent pas de ce que l'artiste propose de nouveau. J'y reviendrai. Mais clairement...

le 7 janv. 2022

Du même critique

Gone Girl
Docteur_Jivago
8

American Beauty

D'apparence parfaite, le couple Amy et Nick s'apprête à fêter leurs cinq ans de mariage lorsque Amy disparaît brutalement et mystérieusement et si l'enquête semble accuser Nick, il va tout faire pour...

le 10 oct. 2014

172 j'aime

35

2001 : L'Odyssée de l'espace
Docteur_Jivago
5

Il était une fois l’espace

Tout juste auréolé du succès de Docteur Folamour, Stanley Kubrick se lance dans un projet de science-fiction assez démesuré et très ambitieux, où il fait appel à Arthur C. Clarke qui a écrit la...

le 25 oct. 2014

165 j'aime

49

American Sniper
Docteur_Jivago
8

La mort dans la peau

En mettant en scène la vie de Chris The Legend Kyle, héros en son pays, Clint Eastwood surprend et dresse, par le prisme de celui-ci, le portrait d'un pays entaché par une Guerre...

le 19 févr. 2015

152 j'aime

34