Adolescent, je me rappelle avoir vu une interview de Jonathan Davis sur MTV, où il crachait sur la pop de Britney Spears et compagnie. Ce genre de musique le faisait vomir. L’ironie dans cela, c’est d’une part, la pop des 90’s - 2000’s était peut-être les prémices d’une décadence de l’Amérique puritaine qui n’a rien vu venir dans ses foyers ; et d’autre part, c’est que le gringalet au dreads légendaire pondait des refrains on ne peut plus pop qui font la particularité du groupe.
Un petit contexte ne fait pas de mal
Après tout, il faisait du nu-metal, ce metal qui choppe sur son passage tout genre de musique pour s’en imprégner. Car, si la définition primaire du nu-metal est de virer les guitar solo qui n’en finissaient pas (allez dire à un guitariste de votre groupe de rock que vous ne voulez pas de solo et admirez son visage se décomposer) au profit de bon gros riff (Drop C ou ou drop D pour la plupart) tout en incluant des codes propres au hip hop (Limp Bizkit); le nu-metal n’avait plus de limite et incorporait sans problème du rock, du grunge, du punk (Linkin Park) et autres. Korn est qualifié comme pionnier du genre, et peut être un des rares qui n’ait pas quitté le navire. Deftones dans la spirale nu-metal s’en est très vite écarté dès leur deuxième album, voire dès les deux dernières pistes de Adrenaline pour nous pondre par la suite des pépites à la chaîne (c’est purement subjectif mais c’est ainsi). Limp Bizkit font office d’éternels nostalgiques qui n’arrivent pas à faire autre chose. Staind a été inclus dans la sphère (plus on est de fou plus on rit) par spiritualité. Linkin Park a finalement très vite fait autre chose (et mis à part quelques soubresauts, leur part de nu-metal se trouve principalement dans Xero, Hybrid Theory EP et Meteora). Il y en a évidemment plein d’autres, dont certains sont peut-être sous-coté (Static-X) et d’autres ne sont peut-être pas catalogué nu-metal, mais qui ont d’une façon ou d’une autre influencé d’autres groupes (Far).
Bref, je ne vais pas faire l’histoire du nu-metal et je doute avoir de toute manière la compétence pour cela.
Dissection d'un classique
Pour revenir à Korn, après un premier album enregistré entre deux beuveries avec l’aide d’un producteur en total panique qui se réfugiait dans la salle de bain pour se recentrer (à lire chez Rolling Stones), un deuxième album peut être fait à la va-vite et un troisième opus qui fait la part belle au hip hop, les voilà avec Issues. Du nu-metal comme sait le faire le quintet, car Issues est selon moi l’album de metal le plus jazz. Ce résultat est peut être le fruit de David Silveria qui s’est lui-même défini comme batteur funk, dont son départ aurait fait perdre au groupe son groove. En même temps, il faut écouter les breaks de “Let’s Get This Party Started”, “Counting” et “Dirty” pour se rendre compte de la prod’ de l’album. Il n’y a, de mémoire, aucun break d’une telle trempe dans tout le reste de la discographie des gars de Bakersfield. Ces breaks viennent comme une bouffée d’air frais, parce qu’en dehors, il n’y a que la lourdeur, au sens positif. Les riffs pèsent, la basse vient y ajouter du poids, et la batterie enfonce le clou. Le tout enveloppé par une voix, qui, si parfois est haute, va aussitôt se changer en cri sombre empli de désespoir à l’image de “Somebody Someone”. Les pépites ne manquent pas, et “No Way” ne laisse pas indifférent avec sa séduisante basse et sa batterie toujours aussi jouissive, alors que les paroles blasphématoires pousseraient l’homme de foi à faire le signe de croix. Issues est une oeuvre qui se prend dans son ensemble. Elle raconte les peurs, le dégoût de soi, l’envie de fuir, la remise en question et l’envie d’être compris. Les singles qui en découlent ne se détachent pas de l’ensemble dans le sens qui ne semblent pas le pur produit destiné à être commercial (même si on est chez Sony à l’époque). Alors oui, les premières notes de “Falling Away From Me” transformera n’importe quel fan en véritable groupie hystérique en plein concert mais cela n’enlève rien à la qualité du titre. Le single “Make Me Bad” lui non plus ne se souci guère de son statut pour dévoiler son jeu de charley et sa basse slappée à outrance. Et parmi ces 16 morceaux, il faut retenir l’interlude “Am I Going Crazy” qui mine de rien à son charme. Les paroles reflètent la musique et inversement. D’ailleurs, le titre est réversible pour donner la même chose. Et si cela peut sembler n’être qu’une prouesse technique bon qu’à frimer, on se rend compte que sa particularité ne fait que renforcer le sens des paroles. A méditer.
Après l’écoute de cet album (que je sors chaque Automne depuis 1999), on a le sentiment d’avoir pris une claque. D’avoir goûté un bon cru. On s’est laissé bercer par ce son lourd et gras et parfois jazzy, envahir par nos angoisses les plus profondes et les plus tenaces au point qu'elles en deviennent paradoxalement notre couverture. Un album qui marque à jamais, qui n’est sans pareil. Un classique. Un chef d’oeuvre.