Encore un disque remarquable du plus prolifique des jazzmen (du moins, au regard de sa discographie post-mortem qui n’en finit pas de se rallonger), son deuxième opus sous le nom du fameux Sun Ra Arkestra, et déjà un monument du jazz from Chicago, fin des années 50 pour situer.
Je précise bien que ma version (il en existe 23) est très différente de la version de 1959 (El Saturn Records), d’ailleurs tout est différent ou presque avec ce CD de 2018 (édition State Of Art) : les titres sont organisés différemment et le CD est agrémenté de bonus bienvenus tirés de “ Sound Sun Pleasure! ”. Je le recommande même si ceux qui possèdent l’original avec l’artwork de l’époque (quel graphisme avec cet œil-hiéroglyphe) sont des sacrés veinards. J’ai un pote qui m’a dit que son père lui avait légué sa collection de Sun Ra, je vais lui en glisser un mot à l’occasion.
La chaleur du vinyle pour le Jazz n’est pas une légende, si un audiophile voulait se faire plaisir, je lui recommande sans hésiter la toute dernière version deluxe 2023 (double LP) de "Cosmic Myth Records" qui respecte l’ordre des pistes de l’original et contient elle aussi des pistes bonus ainsi que des mixages stéréo rares.
Les 3 premiers titres (de ma version) sont de facture classique, (Enlightenment, Saturn et Velvet) mais l’ouverture de « Enlightenment" est tout bonnement irrésistible. "Ancient Aithopia" est d’une autre trempe, un long voyage exotique de 9 mn qui clôture la version originale. On peut retrouver ce titre sur la compilation Exotica, estimable elle aussi !
Les titres s’enchainent et confirment le rôle précurseur et essentiel de ce disque en avance sur son temps, pierre angulaire du hard-bop/Be-bop teinté de swing et le talent d'un chef d’orchestre en pleine gestation cosmique. L’orchestre est tout simplement au sommet de son potentiel, le saxophone ténor de John Gilmore (qui prendra la relève du Sun Ra Orchestra) forme avec Marshall Allen, Pat Patrick et Ronnie Boykin le noyau dur emblématique de la section cuivre de l'Arkestra, sans oublier la trompette de Hobart Dotson et Bo Bailey (trombone et tuba). On entend aussi des flutes (“images"), Hattie Randolph au chant ("Round Midnight"de Monk et "Back in Your Own Back Yard »), deux batteurs et un percussionniste.
Le répertoire de ces deux disques (Jazz… et S. S. Pleasure) deviendront des incontournables très présents dans la setlist du Arkestra de l’époque, tant Sun Ra fusionne habilement avec l’orchestre qui swingue comme un big band ellingtonien.
"Great balls of Fire" renoue avec l’esprit sensuel de "Ancient Aithopia", une invitation au voyage oriental (sur la lune), alors que Sun Ra ne découvrira l’Egypte qu’en 1971. Les percussions contribuent fortement à appuyer ce virage vers un terrain musical emprunt de fusion qui sent bon le futurisme primitif amorcé par le père de l’afrofuturisme prêt à larguer les amarres hard-bop vers des contrées intergalactiques.