Siouxsie, et vous aussi les Banshees, ce n'est pas possible. Votre premier album est déjà une perfection du genre, vous avez enchaîné avec brio, subi des remaniements pour livrer des trésors d'invention et vous nous offrez Juju en 1981 ? Quand vous arrêterez-vous ? Montrerez-vous un minimum de vulnérabilité en nous proposant un album qui ne pousse pas plus loin l'insolente créativité, la splendeur de vos compositions, la beauté pure de votre art?

Ben non.

Pas avec Juju.

Je vous le dis d'emblée, la note détruit toute notion de suspense, Juju est une merveille, une orfèvrerie dont nous sommes indignes. A quel moment le Bromley Contingent était il censé donner naissance à l'une des plus belles réussite des années 80 ? Et en plus on n'est qu'en 1981, vous vous moquez de moi ?

Bon, voilà c'est la fin de cette critique. Plus rien à dire. Juju 10/10 et puis voilà. Spellbound gnagnagna Into the Light blablabla Arabian Knight tatata.










Je me ressaisis.

Alors que Kaleidoscope ouvrait la porte au synthés, Juju voit le grand retour des guitares. McGeogh se surpasse dans son jeu élaboré qui fait la part belle à des arpèges ouvragés, loin des riffs tranchants des débuts du groupe ainsi que de son travail chez Magazine ou Visage. Spellbound en est évidemment le meilleur exemple, s’ouvrant par les notes vaporeuses de la guitare qui semble perdue dans une profonde forêt. La cavalcade s’ouvre ensuite avec la basse de Severin et la batterie de Budgie très très inspiré. Les breaks sont marqués par les toms qui rappellent que l’idée de l’album était au départ d’être centré sur les percussions. Siouxsie quant à elle livre l’une de ses plus belles performances. La chanteuse a, depuis Kaleidoscope, ajouté beaucoup de nuances dans sa voix et c’est tout naturel que Spellbound soit l’un des plus ensorcelants morceaux jamais produits. Peut-être le plus célèbre des Banshees, à juste titre, tant il frise la perfection.

Mais ne négligeons pas la suite, Into the Light amorce un retour de la batterie en tant qu’instrument mélodique. La beauté du jeu de Budgie fait encore une fois effet tandis que le morceau se déroule. La mélodie en forme de spirale se déroule peu à peu en fractale, multipliant les couches, évoquant superbement cette exposition progressive à la lumière à mesure que le morceau devient de plus en plus ciselé et complexe. La voix de Siouxsie y est des plus belles, apaisée, extatique. L’ouverture de cet album laisse pantois avec cette multiplication de chefs-d’œuvre. Ce n’est pas pour rien qu’il s’agit de mon morceau préféré du groupe.

Arabian Knights ne laisse pas retomber l’excitation puisqu’il s’agit encore d’un des morceaux emblématiques du groupe qui triple donc l’émerveillement avec cette incroyable collection de joyaux balancés d’emblée et à la suite. Toujours très marqué par les percussions, c’est un morceau mystérieux, à la voix fantomatique. Halloween redonne un peu d’énergie, c’est un retour au punk qu’on croyait un peu délaissé depuis l’album précédent. Le punk certes, mais aussi un exemple pour toute la scène gothique qui, en plus du thème, n’aura de cesse de dupliquer ce morceau. La guitare arachnide de McGeoch, la basse imposante et la batterie métronomique, il ne manque que la voix menaçante de Siouxsie pour compléter la recette du morceau gothique parfait. Si vous tendez l’oreille vers le groupe Skeletal Family ou The March Violets, vous verrez qu’ils ne s’en sont jamais remis.

C’est une surprise quand débute Monitor. Le morceau est très différent de ce que les Banshees nous ont offert jusqu’à présent. McGeoch et Severin se lancent dans un riff industriel martelé par Budgie tandis que Siouxsie s’époumone sur un thème cher au groupe. Le voyeurisme, l’image, Big Brother, on y est. Londres n’était pas encore équipée de sa multitude de caméras qui éclosent dans les années 90, et pourtant le morceau évoque la fascination exercée par les images de surveillance sur les classes privilégiés, celles-ci se réjouissant des images violentes de l’extérieur comme des jeux du cirque. Même sans son thème, c’est un morceau puissant, relativement long mais imparable, incroyablement efficace et malheureusement souvent laissé de côté quand on évoque les plus belles réussites du groupe.

Jusqu’à présent c’est un sans faute. L’album ralentit avec Night Shift, moins marquant peut-être mais pas moins réussi. La chanson est construite comme une lente montée en puissance, fourmillant de petits détails dans ses arrangements.

Sin in My Heart suit un peu le même chemin, démarrant calmement avant de se dérouler en course poursuite entre Siouxsie et le groupe. L’harmonie est parfaite et l’énergie ne s’était donc pas tarie.

La fin de l’album s’articule d’abord autour du costaud Head Cut avec ses incroyables guitares robotiques en roue libre. On ne sait pas ce que fait McGeogh mais il peut continuer. Siouxsie est plus agressive que sur tout le reste de l’album, hulule et s'époumone au-dessus de la bataille. Avec sa voix doublée, le morceau me fait penser que les Banshees sont parfois très proches d’être une version sombre de leurs contemporains américains les B-52’s, à moins que ça ne soit l’inverse.

Ensuite, et enfin, c’est Voodoo Dolly qui boucle l’album en revenant sur le thème de la sorcellerie. Le morceau dépasse les 7 minutes de plongée dans une atmosphère inquiétante où chaque membre du groupe s’en donne à cœur joie. Ca commence comme un rêve inquiétant et flottant avant que le cauchemar ne s’emballe au milieu de percussions en forme d’invocation, d’une guitare spectrale (pas de saxospectre dans cet album, curieusement), d’une Siouxsie en forme de banshee (pas très loin d’une Yoko Ono parfois) et d’une basse tentant de maintenir un peu de cohérence dans la folie avant de sombrer à son tour. C’est une éprouvante conclusion, jusqu’à sa dernière goutte vénéneuse.


Juju est l’album emblématique de Siouxsie and the Banshees et à l’écouter ce n’est pas difficile de comprendre pourquoi il a acquis ce statut culte. Si le postulat de base d’axer l’album sur les percussions du monde entier n’a pas tellement été respecté et si sa seconde partie fléchit légèrement après l’impressionnant alignement de splendeurs qui constitue la première, ces maigres failles ne sont pas grand chose tant la réussite est éclatante. Le groupe est à son meilleur, en alchimie parfaite (pour encore un album à venir) et montre à quel point il sait se renouveler et étendre ses expérimentations. Il est compliqué de départager la virtuosité de ses membres même s’il faut avouer que McGeogh et Budgie brillent particulièrement. De groupe post-punk motivé, Siouxsie and the Banshees parvient avec Juju à se hisser au rang des groupes les plus influents de leur époque, tous styles confondus.




I-Reverend

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