Le parfait smoothie de l'été
J et T. Deux lettres mystérieuses comme unique renseignement sur un groupe sorti de nulle part. Deux gars de Londres auteurs de quelques productions sous le nom générique de Jungle, et signés chez XL Recordings. C'est ainsi que s'est définit pendant près d'un an l'un des "British new act" les plus hype de 2013.
L'anonymat a été l'arme principale du duo pour qui seule la musique compte : aucun interview, aucun photo shoot, presqu'aucun concert même n'a été proposé avant le début de cette année. Ce mystère parfaitement bien entretenu a pourtant suscité un buzz bien plus efficace qu'une campagne de communication assommante. Encore mieux que pour une audition à l'aveugle dans The Voice, Jungle est arrivé masqué sur le devant de la scène, lâchant ses premières bombes funk Platoon et The Heat en s'appuyant sur de précieux avatars : la jeune break-danseuse B-Girl Terra et deux rollers-skateurs afro-américains - un temps même pris pour le mystérieux duo en question - animent ainsi parfaitement les vidéos des deux singles, grâce à des chorégraphies endiablées qui ont fait le tour du web en un temps record. Il n'en a pas fallu plus pour retrouver Jungle sur la prestigieuse playlist BBC Sound of 2014 et apparaître sur les ondes de la grande radio britannique.
Le tout premier concert à Londres en novembre dernier, complet en quelques heures, à révélé la vraie nature du groupe : sur scène le duo s'élargit en véritable collectif de sept membres, dont un percussionniste armée de bouteilles vide de Coca-Cola et deux choristes soul habités. Une véritable "famille" d'après J & T, et qui travaille main dans la main pour réaliser sa musique, ses vidéos et ses concerts. Cette arrivée sur scène ne doit pourtant pas dissiper le mystère autour du groupe : l'éclairage de la scène est volontairement limité quand il n'aveugle pas le public, et chacun des deux chanteurs est habilement dissimulé derrière un vocodeur fixé sur son micro. Malin est celui qui arrive alors à extirper des ces premiers concerts un visage net sur une photo ! Et pendant ce temps passé sur scène, pas de présentation, pas de blabla, seule la musique compte, à nouveau. Aucune fuite n'a mis fin au secret, et ce n'est qu'à l'arrivée en grandes pompes de ce premier album que le collectif a choisi de se livrer à la presse britannique. Le voile finalement tombé révèle Joshua Lloyd-Watson et Tom McFarland, deux vieux amis du West London. En 2011, ils s'étaient une première fois lancés en tant que guitaristes dans la groupe indie-rock Born Blonde, déjà accompagnés par George Day et Fraser MacColl, aujourd'hui respectivement batteur et bassiste de Jungle. La formation avait sorti un premier LP fin 2012 juste avant de disparaître.
Né quelques mois après, et qualifié de groupe "nu-disco", Jungle est un duo de falsettos perchés au-dessus de soigneuses productions electro/soul. Empruntant autant à la british soul qu'au funk des Bee-Gees, il transmet une envie contagieuse de danser sur une musique fédératrice flirtant aussi bien avec le mainstream que l'underground. Ils n'inventent rien mais remettent habilement au goût du jour des sonorités bien trop souvent oubliées. C'est un coup fort semblable que celui porté par Disclosure en 2013 - autre duo connu pour sa house version UK rénovée - et avec qui les comparaisons ne manquent pas outre-manche, à juste titre. Deux nouveaux singles ont porté l'attente au plus point en 2014 : le très groovy Busy Earnin', une grosse tempête de synthés où grondent cuivres et percussions, et Time, hymne funk illuminé bien gonflé par une ligne de basse. Chacun dispose également de son lot de danseurs sur leur vidéo respective, aussi simple qu'accrocheuse. Deux précieuses b-sides de l'an passée, Drops et Lucky I Got What I Want, trouvent également leur place sur ce premier album, avec leur production légère et catchy.
Si ce premier essai se montre séduisant en compilant six titres soigneusement distillés un par un depuis un an, les cinq nouveaux sons complétant l'album dressent au final un bloc très lisse de quarante minutes. Le choix d'une recette musicale à la production limitée, et délibérément réduite au couple synthés/basse donne assez vite l'impression de tourner en rond. En France par ailleurs, le collectif Jungle au complet a déjà pu présenter l'ensemble de ses productions sur scène : à Paris en première partie de Haim au Trianon, puis au Nouveau Casino avec son propre show, avant de se produire au Festival We Love Green, mais aussi à Laval, à Nîmes, à Rennes, à Lille, aux Eurockéennes de Belfort ou encore au Festival des Vieilles Charrues. Une tournée impressionnante où les sept artistes on su mettre en place un puissant show captivant, autant musicalement que visuellement.
Le passage en studio n'a pas retranscrit cette ambiance sur l'album, du moins avec la même intensité. Les chansons souffrent de productions plus aseptisées et moins rayonnantes. La différence majeur se résume avant tout par le choix d'en revenir au duo de base pour l'enregistrement du disque. J et T sont les seules à la baguette pour toute la partie instrumentale. A deux ils ont tout écrit, interprété et produit. Les cinq autres membres du collectif laissés sur la touche expliquent peut-être ce grain de folie manquant. Ainsi, le titre instrumental Smoking Pixel, sorte d'entracte glissée à la moitié du disque, ne précède pas la montée en puissance qu'on pouvait espérer, malgré l'enivrant Julia, qui est la plus belle nouveauté de l'album. Et comme si l'exception confirmait la règle, ce morceau est le seul où sont crédité Fraser Maccoll, George Day, ainsi que le percussionniste Dominic Whalley et la choriste Rudi Salmon. On y retrouve donc ce qui manque bien trop souvent dans le reste de l'album.
A défaut de folie et d'originalité, Jungle triomphe cependant logiquement en créant la nouvelle bande-son de l'été, trop légère pour les dancefloor mais des plus rafraîchissante sur la plage. Le son de Jungle porte la marque du parfait tube smoothie, frais, doux, acidulé, celui qui accompagne tout l'été dès les premières secondes de l'album, à coup de "Bring the heat".
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