A Christophe

Pour moi, cet album transpire la Mort, dans ce qu'elle a de plus charnel, lyrique et de soulagement. Un arrière-goût, aussi, de "cela aurait pu, et du, être différent", donc de profonde injustice vis-à-vis de destins damnés. Il y a partout des âmes qui se débattent, malgré leurs racines surgies dans le compost, mais qui peuvent se débattre autant qu'elles le souhaitent, même gagner parfois : les Démons qui les ont bercés au-dessus de la panière reviennent, d'une façon ou d'une autre. Et parfois poussent à l'autodestruction, d'abord très lente, puis de plus en plus rapide et extrême, jusqu'à la mort misérable. Mais, "just for a day", au moins auront-elles pu toucher une idée de la paix...
Pour moi, cet album, c'est ça. Il y a l'âme d'un ancien ami qui a fini monstre, qui a été très présent dans ma vie pendant 10 ans mais que j'ai poussé vers la porte de sortie pour limiter les dégâts, et dont le cri d'abord ample et lointain comme "Spanish Air", devient viscéral et littéral sur le crescendo hallucinant de "Primal". Parce que le groupe a su retranscrire des voix muettes, stupéfiées dans ce que la Vie peut offrir de plus déboussolant, et surtout a su créer sur 40 minutes une atmosphère d'une mélancolie glaçante. "Catch The Breeze", qui fait intervenir une cornemuse funéraire sur sa fin, est un bel exemple d'à la fois l'explosion d'abnégation et de fascination morbide que représente le shoegaze : tout donner pour que le poids de la vie soit soulevée par l'empathie musicale. Mais le morceau qui représente le mieux la démarche est sans conteste cet instrumental absolument magnifique, "Erick's Song", qui me fait énormément penser à ce que j'ai vécu avec cet ami/monstre, ce qu'il a fait de bien pour moi avant de partir en vrille, le sentiment d'impuissance absolue qui me tue, et ce profond dégoût envers les fatalités et les projets finissant englués par un Temps vengeur. Cette ambiance entre deux mondes, entre ciel et mer, tous deux aussi vastes que vides, acheminent doucement sur tout le corps et toute l'âme, comme une caresse aussi lente que la musique. La conclusion, "Primal", est donc pour moi un déchirement total, mais aussi et surtout l'exorcisme d'un puissant hurlement que je trimballe avec moi, qui porte son nom, où je ne lui dis qu'une chose : repose enfin en paix, mon ami que je pardonne. Monde de merde.
Heureusement, il y a la musique, pour adoucir tout ça... Et l'amour. C'est déjà ça. Même si c'est pour un jour.