Quiconque se targue par ignorance d’une vision hémianopsique des arts actuels (« il y a le bon et il y a le mauvais ») omet toute une palette de gris que la dichotomie, par essence réductrice, ne permet pas d’appréhender avec clairvoyance. Parfois cependant, des sursauts de lourdeur actuels (stoner/doom et consorts) s’échappent des surprises telles qu’elles en éclipsent, à travers l’enthousiasme qu’elles impliquent, le dégradé grisonnant du ni bon, ni mauvais. Du moyen. Et Kadavar est un noir affirmé : le trio germanique vagabonde entre Black Sabbath, Black Rainbows et Black Widow. Il oscille entre heavy rock occulte et psychédélisme destructeur au détour de six odes aux 70’s.
D’ailleurs, puisque de seventies il s’agit, Kadavar se munit pour cette première tentative nostalgique d’une production analogique aux douces réminiscences capturées par-ci par-là, tout en manifestant une volonté de sonner comme ces perles oubliées de l’ère heavy psyché. A l’écoute, Leaf Hound, Dragonfly ou, un peu plus tard, Pagan Altar, apparaissent comme des influences une fois de plus non négligeables, en plus de celles précisées ci-dessus. De la basse, très marquée, à la manière de Black Sabbath, au mixage néandertalien des instruments (section rythmique à droite, guitare et chant à gauche), cet éponyme célèbre les années 70 avec une verve assumée, propice non seulement aux comparaisons avec les plus grands noms de l’histoire du rock énervé, mais aussi à l’élévation du trio aux hautes sphères des groupes sur lesquels il faut et faudra compter.
Car les membres de Kadavar ne se contentent pas de singer leurs illustres prédécesseurs, malgré toute l’admiration qu’ils peuvent leur porter. Il y a une puissance, une rage psychédélique dans leur manière d’aborder l’art du power trio. De telle sorte que Kadavar ne s’affilie finalement à aucun des groupes actuels auquels il pourrait être (et est déjà) comparé, comme Witchcraft, Horisont ou Uncle Acid & The Deadbeats. Il y a dans ces six pièces d’un plat à la consistance prouvée une réelle originalité, qu’elle passe par les sollicitudes vocales ou les vociférations fuzzées de Wolf Lindermann, l’ami à la barbe rousse la plus ringarde de toute l’histoire de la barbe. En fait, là réside tout le sel de Kadavar : les allemands assument leur rôle nostalgique avec diligence, allant jusqu’à s’accoutrer dans une sorte de croisement entre d’occultes bergers scandinaves et d’illustres dandys rock, ce qui explique en partie l’incroyable engouement de la sphère plus hype du stoner rock autour du trio. Loin de l’auteur de ces lignes l’idée de considérer Kadavar comme un simple succès marketing, puisque, même si cette dimension est incontestable qu’elle soit volontaire ou non, la musique suit, et essuie d’un coup puissant la poussière d’une table heavy rock de plus en plus remplie.