... ça, Kanye West et Kid Cudi l'ont bien compris, et font de ce troisième projet du Kanye Musical Universe (entamé avec DAYTONA de Pusha T et Ye du rappeur le plus détesté d'Amérique himself) un formidable exutoire de leurs démons et névroses personnelles. Chacun ses problèmes comme on dit, West ayant traversé une phase de fatigue créative qui le mena jusqu'au burn-out et à l'hosto, puis à l'isolement dans les hautes sphères du Wyoming, lorsque son fidèle comparse Cudi replongeait la même année dans ses addictions aux drogues et phases de dépression qui s'ensuivaient. Il était déjà revenu une première fois de cette période trouble avec un album, Passion, Pain & Demon Slayin, dans lequel on ne l'avait pas vu si inspiré depuis l'époque des Man on the Moon, et qui malgré les longueurs habituelles qu'on peut imputer à ses disques augurait du positif pour la suite comme pour lui-même, enfin.
Car ne nous trompons pas sur l'identité artistique de ce nouveau projet, c'est bel et bien un album de Kid Cudi que nous tenons dans les mains, avec toute son empreinte et ses thématiques habituelles, la présence bienfaitrice de son mentor Kanye West en plus et les longueurs en moins. Fidèle à la logique suivie par le label GOOD Music sur toutes ses sorties des mois de mai et juin, Kids See Ghosts compte 7 titres, et tient le pari de condenser le meilleur de son créateur en 23 minutes top chrono. Le pari était remporté haut la main pour Pusha T, un peu moins pour West malgré une galette débordante d'émotions et de sincérité, qu'en est-il pour l'enfant terrible de Cleveland ?
La réponse est simple, c'est la meilleure chose qu'il nous ait donné depuis Man On the Moon premier du nom, qui avait installé sa carrière en grandes pompes en 2009 et lui avait attiré l'essentiel de sa fan base. Kids See Ghosts c'est donc un exutoire géant, une façon définitive et convaincue de clamer sa victoire sur les démons, les ghosts qui ont longtemps entouré et pourri la vie de Cudi. Un cri d'amour et de rage à la fois, qu'on peut prendre à première écoute et devant les cris de singe de Kanye sur Feel the Love, l'intro, comme trop chaotique et instable, mais qui se révèle et prend en force au fur et à mesure.
Le format court est indiscutablement la grande réussite de l'album, là où même sur Man On the Moon I on pouvait reprocher à Cudi de s'égarer et de trainer à certains moments, et où les morceaux se révélaient parfois inégaux. Avec 7 titres résumant les diverses obsessions musicales du Kid (pop synthétique lunaire, mélodies enjouées et chargées d'émotions, rock psychédélique et libérateur), Kanye West qui joue le vieux mentor en lâcher prise total et lâche quelques couplets d'anthologie, et le grand nombre de guests saupoudrant le tout (Pusha T, Yasiin Bey alias Mos Def, Ty Dolla $ign en forme sur Freeee, Justin Vernon alias Bon Iver et le vétéran Mike Dean à la production), on arrive sûrement à ce qu'il espérait nous livrer depuis le début, un prototype réussi de l'album parfait le synthétisant dans son entièreté et quasi sans fausse note.
En prime de cela, de cette concision dans un condensé explosif de 23 minutes, on trouve dans KSG une force et une énergie assez dingues, on sent véritablement la flamme se rallumer pour Kid Cudi et Kanye, et l'inspiration se relancer. Des refrains comme Feel the Love, I'm so Reborn ou Stay Strong sont martelés rageusement et laissent entrevoir une revanche sur la vie, avec toutes les défaites, doutes et amertumes qu'elle a pu entraîner pour les deux artistes. Et quand on en arrive à un morceau comme Reborn, sorte de successeur de Pursuit of Happiness mais où le bonheur a enfin été rattrapé, on ne peut se mettre qu'à sourire naïvement et à oser rêver de nouveau. Moi en tout cas, ça m'aura donné la force suffisante pour me connecter à SC et écrire cette critique, ce qui est en soit un bon début.