En 5 raisons non exhaustives.
Et oui, avant de commencer je tiens à vous dire franchement que j'ai adoré cet album comme j'en adorerai peu durant cette année musicale 2016, et qu'il méritait donc naturellement sa critique, mais que je n'éprouvais pas non plus l'envie de me perdre en métaphores, comparatifs et autre hyperboles infinies, et que j'ai décidé pour remédier à ça d'écrire ladite critique sous la forme ô combien négligente d'un top, ce qui peut paraître de très mauvais goût pour un projet aussi conséquent, mais qui j'en suis sûr résumera plus efficacement et avec beaucoup moins de fioritures les raisons qui font de Blonde (ou Blond, à vous de voir) un retour magistralement réussi pour le R'nB' lover gay le plus cool de la planète, ainsi qu'une pièce de choix pour un genre auquel on pouvait autrefois reprocher de s'essouffler à petit feu. Bref, passons aux 5 raisons proprement dites.
1) Parce que sa stratégie de com' pète le feu comme jamais
Alors là il n'y a pas grand chose à dire, on ne va pas se retaper le classique petit résumé des faits que tout le monde connaît de toute façon déjà (sans compter que vous en avez eu suffisamment pour votre compte avec mon avis sur The Life of Pablo) mais plutôt saluer la cruauté sans failles de monsieur Ocean, les fans qui ont sacrifié plusieurs heures de leur vie à patienter sur des lives Twitch ou des fils d'actualité Twitter afin d'être les premiers heureux élus à poser leur main sur le projet parleront pour moi, et je ne parle pas de l’écœurement très passager qu'a provoqué le 20 août la sortie d'un album visuel et ultra-minimaliste (voire générique) nommé Endless, puis du soulagement général lorsqu'on découvrit enfin de nos yeux fous la surprise nous étant réservée. Il faut dire que les fois où je me suis senti devant la sortie d'un album comme un gosse découvrant ses cadeaux emballés au pied du sapin sont rares, chapeau bas donc.
2) Parce que plus beau et soigné que ça tu meurs
Cette impression de classe absolue démarre dès Nikes, single R'nB' porte-étendard de l'album par excellence qu'on avait eu la joie de découvrir un peu en avance : avec son beat lent et profond, son instru épurée au maximum et ses quelques petits snares Hip-Hop, l'ensemble se marie harmonieusement au chant élancé (et d'abord déformé façon chipmunk) de Frank et putain, qu'est-ce que c'est beau, qu'est-ce que c'est propre, on sent presque déjà nous venir les larmes aux yeux au bout d'une seule track. Et je n'ai pas encore évoqué la superbe ballade Pink + White (une des mélodies les plus émouvantes qu'ait composée Pharrell, accompagnée de chœurs épiques de Beyoncé), les plus intimistes Solo et Self Control, la contemplative White Ferrari nous plongeant tout droit dans les univers embrumés de James Blake et Bon Iver, ou encore la déchirante Seigfreed, et j'en passe et des meilleures. Ce qui est certain c'est que Frank Ocean n'a pas lésiné sur les moyens ni ne s'est reposé sur le succès de son précédent Channel Orange, et au vu de la liste d'invités de luxe crédités sur l'album (Pharrell et James Blake donc, mais aussi Kendrick Lamar, Jamie xx, Sebastian, David Bowie, André 3000, Tyler The Creator...), on ne peut que se rendre à l'évidence de l'aboutissement sonore de Blonde et saluer le travail d’arrache-pied qu'a dû se prescrire son auteur 4 longues années durant, et dire qu'on a été suffisamment stupides pour ne pas voir la métaphore lorsque Frank s'affichait en charpentier travaillant minutieusement son bois dans le long clip d'Endless. De toute manière, comme dit le bon vieil adage populaire : "seul le travail bien accompli paie".
3) Parce que son auteur porte définitivement ses couilles
La bravoure de Frank Ocean avait déjà été saluée lorsque ce dernier fit l'audacieux choix du coming-out bisexuel lors de la sortie de son premier album en 2012, une quasi première dans le monde du R'nB'/ Hip-Hop qui lui valut un profond respect de tous les côtés. Citant régulièrement la figure étincelante de Prince comme modèle dans sa démarche sexuelle et artistique, Ocean s'affirme encore et toujours plus sur ce nouvel essai, fait fi de traditions pourtant usuelles comme faire un feat avec Beyoncé en lui laissant au strict minimum un couplet et un refrain à elle seule, idem pour Kendrick Lamar qui aurait pu très bien lui concocter un verse de premier choix sur Skyline To. Au lieu de quoi, le voilà relégué au poste d'écho de la voix de celui qui occupe majestueusement tout l'album.
Avec sa nouvelle teinture verte sur la cover, Frank nous avait pourtant annoncé la couleur si l'on puisse dire, et si il décide de cacher son visage strié de larmes, c'est bien sa voix et seulement elle qu'on entend tout le long du disque ; car qui dit grand artiste Pop dit savoir donner de sa présence, et ça Frank l'a parfaitement compris. De toute façon c'est tant mieux pour nous, quelle importance qu'on entende que lui quand ça faisait si longtemps qu'on ne s'était pas attardé sur ce chant sensuel et désorienté.
4) Parce que c'est un putain de virage à 180 degrés dans une disco d'autant plus perfectionnée
Qu'on ne s'étonne plus des habituels commentaires renfrognés des fans de la première heure, lesquels reprochent à ce nouvel essai son minimalisme trop cru et sa pauvreté de premier abord face aux sonorités plus éparses de l'illustre prédécesseur. "Désolé mais je me suis fait chier", voilà qui a été le mot d'ordre pour toute la compagnie des haters, désappointée par un tel changement de direction. Alors oui, je ne vais pas vous cacher que j'en été le premier surpris, et qu'un vent de panique s'est mis à souffler en moi lors de ma première écoute, quand j'ai réalisé que Blonde pouvait avoir tout... et rien en même temps à envier à Channel Orange. Cependant, j'ai vite réussi à reprendre le dessus sur mes impressions et j'ai choisi de faire confiance à l'artiste dans sa démarche, bien m'en ait pris : car rapidement, il m'est apparu que ce nouveau Frank Ocean m'emballait, voire me plaisait même beaucoup, tout autant que l'ancien. C'est que comme je vous le disais plus tôt, la lisseur d'une Pop-R'nB' plus léchée que jamais est favorisée ici, face au patchwork musical rempli de références passées de l'ancien Frank, pour des résultats d'une richesse égale. Car réaliser un disque aussi chargé en émotion dans des cadres instrumentaux se limitant parfois à la présence d'une seule ligne de guitare (Ivy) ou d'un seul et sobre orgue (Godspeed), ce n'est pas donné à n'importe qui croyez-moi. Le minimalisme fait presque figure de cadre ultra travaillé et stylisé mettant encore une fois tout en lumière le chanteur. Notons toutefois la présence de sonorités aux incursions plus expérimentales apportant une fraîcheur de plus à l'album, à l'image de l'épique Pyramids de 2012 : des morceaux comme le fantastique Nights (et son changement d'instru, putain..) ou le très planant Skyline To.
5) Parce que bordel rien n'est à jeter
Rares sont les albums dont les morceaux peuvent fusionner entre eux pour ne plus former plus qu'un seul bloc cohérent et harmonieux. C'est simple, chaque titre vaut à mon sens autant que l'autre dans le résultat final, à part peut-être Nikes qui fait office de cas isolé en tant que lead single de l'album vu qu'il en fallait au moins un, et encore. Qu'on assiste à une reprise endiablée du légendaire André 3000 du morceau Solo, à une réflexion du producteur Sebastian (cocorico pour l'accent franchouillard) sur les conséquences dramatiques de l'essor des réseaux virtuels ou à une cover d'un vieux titre tombé dans l'oubli de Stevie Wonder, tout se raccorde et prend joliment corps à nos oreilles dans un coup de grâce unique.
Blonde fait partie de ces disques un peu étranges, dans lesquels on est absorbé rapidement pour n'émerger qu'une fois le bout du tunnel atteint, cela contribuant beaucoup aux postures très marquées d'un côté ou de l'autre des auditeurs vis-à-vis du projet : c'est du quitte ou double, soit on entre dans le truc et on prend part au voyage soit on passe à côté et on s'emmerde, de toute façon il est clair pour tout le monde que Blonde a été classé parmi les albums qui divisent.
L'unanimité ne sera sûrement pas aussi conquise que pour Channel Orange, mais à quel bénéfice, honnêtement ? Je vous le demande bien.
9/10.