Depuis peu la scène musicale est inondée d’un courant « nouveau », la chill wave (la vague glaciale)*, en général bien accueillie par la critique. Il s’agit d’une sorte de pop brumeuse et synthétique qui lorgne clairement vers les années quatre-vingts. Chromatics fait partie de cette mouvance dont on peine jusqu’à présent à trouver les vraies qualités, et ce n’est pas Kill for Love, leur nouvel album, qui va nous faire changer d’avis. Un peu à l’image de leur reprise du titre « Hey Hey, My My » de Neil Young (renommé pour l’occasion « Into the Black »), les Chromatics font une jolie musique révérencieuse, c’est indéniable, mais qui peine à dégeler les clichés d’une époque bien révolue.
Assurément, et ce titre peut servir de résumé de tout l’album, « Into the Black » qui introduit Kill for Love n’est pas une mauvaise reprise. Mais à quoi sert-il ? Peut-on lui reconnaître une touche personnelle alors qu’il reprend note par note la ligne de guitare de base, que le chant est à l’identique de celui de Neil Young ? Non, deux fois non. Et ce ne sont pas les réverbérations et autres synthétiseurs maigrelets qui changent la donne, même si ces derniers présentent le petit intérêt d’inscrire le morceau, par la force des choses, dans un temps qui n’est pas le sien (l’original a été composé en 1979). En d’autres termes voilà une chanson qui s’avère agréable pour la bonne raison qu’elle reprend trait pour trait un standard original de grande qualité. À vrai dire, revisiter un titre aussi connu – on pourrait même dire emblématique (les quelques mots écrits par Kurt Cobain avant de se donner la mort sont justement tirés de « Hey Hey My My ») – nécessitait probablement un lifting plus prononcé pour qu’on puisse le voir sous un jour nouveau, comme le laissait présager ce changement de nom. En l’état « Into the Black » n’est donc qu’une reprise (trop) polie, constat qui peut être dressé pour l’ensemble de Kill for Love qui, dans son ensemble, « reprend » une époque sans la questionner.
Au moins c’est une chance que le répertoire dans lequel pioche allègrement Chromatics soit aussi riche : les eighties ont produit leur lot de grandes chansons froides et séduisantes, que ce soit via The Cure, Cocteau Twins, New Order, on en passe. Tous ont produit une pop à synthétiseurs plutôt avant-gardiste. Mais ces artistes ont aussi eu le courage de sortir de ce carcan en cherchant d’autres voies pour enrichir leur son. Alors, quel est le sens de cette marche arrière sans un regard sur le présent ? Peut-être Chromatics veut-il raviver la flamme d’une époque révolue. Mais cette flamme est-elle éteinte ? Non. Tous ces groupes précités sont encore vivants ! Car enfin, quand on entend ces guitares sous réverbération et chorus, on pense à The Cure. Ces beats proches de la techno, ils évoquent ceux de New Order. Et enfin, la voix éthérée de Ruth Radelet rappelle franchement celle d’Elizabeth Frazer. Il manque finalement à Chromatics l’énergie de ses modèles, ce désir palpable de créer quelque chose de nouveau, de défricher. Ce truc en plus qui ferait oublier ces influences trop évidentes.
Heureusement pour nous le groupe a un certain talent mélodique, ce qui lui permet de proposer un disque de dix-sept chansons sans que l’on s’ennuie outre mesure. C’est d’autant plus vrai que l’on sent une volonté de construire un album cohérent, uni. Chromatics a eu cette intelligence de proposer quelques longues plages ambient qui permettent de laisser respirer le disque entre deux chansons au charme rétro tranquille, qui souffrent souvent de leur inaptitude à nous habiter. En somme, les compositions de Kill for Love glissent sur nous sans s’attarder. Et à la fin, on ne peut s’empêcher de se dire qu’on préférera toujours l’original à la copie.
*on peut indiquer, entre autres, Washed Out, St Vincent, Neon Indian et Chairlift comme représentants majeurs du courant, favorablement notés par les magasines et webzines spécialisés.