Je me souviens (à peine) que les journalistes vaguement ironiques - et complètement à côté de la plaque - appelaient cela le 'glam rock'. Je veux oublier que ce délicieux déluge d'outrances vocales et de riffs électriques a influencé Queen et consorts. J'ai toujours dans la bouche le goût de révolte hilare que ce chapelet de chansons à 200 à l'heure a donné à mes dernières années-lycée. Une madeleine proustienne ou des dragées au poivre toujours virulentes ? Les deux, mon général ! Souvenons en tout cas de la stupéfaction dans les foyers anglais quand la moustache hitlérienne de Ron apparut pour la première fois à Top of the Pops. Et des cris des filles aussi aigus que ceux de Russell pour accompagner les hits imparables qui déferlèrent quelques semaines durant sur le pays. Et, surtout, surtout, ré-écoutons au moins une fois par mois "This Town Ain't Big Enough", l'une des dix meilleures chansons de l'histoire du rock, pas moins.
Ron et Russell Mael ont traversé l'Atlantique, et la véritable histoire de Sparks commence... enfin ! Hébergés sur Island Records (un choix pas si évident, mais le label était alors en pleine diversification), affublés d'un nouveau backing band beaucoup plus compétent que leur troupe américaine, mais tout aussi passe-partout, produits par Muff, le frangin de Steve Winwood (qui produira aussi, un peu plus tard Dire Straits !), les Frères Mael ont enfin tout pour réussir. Ils ont surtout 10 chansons extraordinaires (allez, on va dire 9, car "In My Family" sonne encore comme l'ancien Sparks...), dont 2 bombes absolues ("This Town Ain't Big Enough..." et "Amateur Hour").
Russell a donc trouvé sa voix, les textes sont délicieux d'humour et d'intelligence ("Talent is an Asset", la chanson sur Albert Einstein est merveilleuse !), et on commence déjà à en extraire des citations qui nous accompagneront tout le reste de notre existence : pour moi, alors jeune provincial mort d'ennui et haïssant particulièrement la période des fêtes de fin d'année, "Thank God It's Not Christmas", splendide, devient mon morceau préféré pour les 10 ans à venir, en particulier grâce à la ligne immortelle :"If the were the Seine, we'd be very suave, but it's just the rain, washing down the boulevard !"...
Sur des rythmiques surexcitées, appuyées par des guitares très électriques, les chansons de Ron sont un foudroyant mélange d'idées iconoclastes - car les références à la comédie musicale, à l'opérette, voire à la "grande musique" sont toujours bien présentes, mais désormais parfaitement intégrées à la dynamique "Rock" - et de mélodies irrésistibles.
Le résultat est un album parfait, inusable, qui reste toujours aussi convaincant et enchanté un demi-siècle plus tard. Et, ce que nous ne savions pas, ce que nous n'osions pas imaginer à l'époque, c'es que ce n'était là que le début !
PS : certaines versions CDs incluent en bonus deux autres titres de l'époque, "Barbecutie" et "Lost and Found" : s'ils n'ont rien de honteux, ils rabaissent clairement le niveau de l'album, et surtout ils empêchent l'auditeur d'en rester sur la cacophonie provocante du brillant "Equator". Et ça, c'est un problème !
PPS : "Kimono My House" est l'un des très rares albums où les deux frères Mael ne figurent pas sur la pochette. Néanmoins, le duo de geishas coquines qui les remplace inaugure parfaitement l'esprit des futures pochettes de Sparks.
[Critique écrite en 2020, mis à part l'introduction écrite en 2014]