Au Bacchus Bar à Auxerre, il y a Pedro, maçon de son état (en fait il s'appelle Manuel, mais il trouve que ce prénom trahit ses origines portugaises). Il y a aussi Fifi.
Fifi, 32 ans, est un légionnaire à la retraite. Comme la majorité des légionnaires retraités, Fifi n'est pas le genre de type qu'on se risque à titiller. Tenez par exemple, à l'instar de mon pote Pedro, Fifi cache un lourd secret patronymique. En effet, Fifi n'est pas le diminutif de Philippe, comme l'imaginent les clients du Bacchus. Non, Fifi se prenomme Firmin... Oui oui... Et Firmin, pour un légionnaire qui brise une nuque comme moi je casse un morceau de sucre pour mon café... et bien, ça crée un léger décalage avec son image de militaire sanguinaire. Bref Fifi tient à conserver intacte sa réputation de guerrier capable de faire bouffer toutes ses dents à Rambo.
Longtemps, j'ai cru n'avoir aucun point commun avec Firmin, pardon Fifi, si ce n'est notre amour immodéré des boissons houblonées. Et pourtant, par une fin d'après-midi frisquet de mi-octobre, j'étais appuyé sur le zinc du Bacchus absorbé dans la contemplation de la couleur dorée d'une Punk Beer quand Fifi vint s'assoir à côté de moi.
Il semblait troublé le Fifi. Je me hasardai à l'interroger sur les raisons de son trouble, prêt à battre en retraite au moindre signe d'agacement de mon copain.
- Je viens d'écouter un disque de Miles Davis, me dit-il. Kind of Blue, ça s'appelle.
- Oui, je le connais, lui répondis-je.
- Et ben, je vais te dire... j'ai rien compris à cette musique. Et pourtant, je sais pas... elle m'a fait du bien. Elle m'a émue.
Et là, ça me fait un autre point commun avec Fifi. Le jazz, je n'y comprends rien. Et pourtant, j'aime cette musique qui me parle au coeur, au cerveau et aux tripes. D'ailleurs, je crois que Fifi était plus chamboulé qu'il ne voulait bien le laisser paraître. Ne le dîtes pas, sinon il me ferait bouffer mon certificat de naissance, mais Fifi avait les yeux rougis... Je pense qu'il avait pleuré mon Fifi.