King & Queen par Benoit Baylé
Enregistré au Von’s Studio de Londres en 1992, le cinquième Sol Invictus fête cette année son vingtième anniversaire. Impossible de rêver meilleure occasion pour aborder ce disque charnière de la carrière du groupe, celui qui définira la sonorité de la suite des aventures de Tony Wakeford au sein du projet qui lui est le plus cher. Encore aujourd’hui, le leader ne cesse de rabâcher, en évoquant Sol Invictus, qu’il s’agit là d’un « groupe de cabaret venu de l’enfer pour la fin du siècle ». L’aspect cabaret n’est vraiment pas évident, mais l’enfer, la fin du siècle et la peur de l’apocalypse, oui, Tony a frappé juste. Déjà, les débuts du groupe annonçaient une certaine violence tant parolière que musicale, notamment à travers des guitares industrielles sales et des lignes de chant chaotiques, comme sur Lex Talionis. Cette vision de la musique, que l’on pourrait aborder comme une sorte de purgatoire visant à rendre l’abject esthétique, beau, se voit peu à peu abandonnée par Wakeford, ce à partir de Trees In Winter, sorti fin 1990. Ici, l’approche se veut moins agressive, moins frontale, et laisse plus de place à un esprit acoustique qui ne demande qu’à s’émanciper. Et si Sol Invictus tel qu’il le sera par la suite fait ses premiers pas avec Trees In Winter, c’est avec King & Queen que la magie va réellement prendre pour la première fois, ouvrant la porte à nombreuses autres sorcelleries futures.
Dans King & Queen, l’omniprésence du piano, élément le plus marquant de cet album, apporte une touche de subtilité bienvenue dans un ensemble très acoustique et solennel. Globalement, Sol Invictus s’est apaisé, presque repenti, et malgré des sursauts de malveillance mélancolique (« All’s Well In Hell »), le tout dénote une accalmie quasi lumineuse. Entre une flûte ravissante (« Sun & Moon »), des arpèges féériques au piano (« The Watching Moon ») et des accords folk nocturnes (« Lonely Crawls The Night »), les instrumentations témoignent d’une certaine maturité, encore inavouée chez Tony Wakeford et consorts. Ces considérations purement instrumentales faites, il est maintenant temps d’aborder l’objet des nombreuses réprimandes qu’aura pu subir Sol Invictus depuis une vingtaine d’années : le chant de Wakeford. Car effectivement, si les orchestrations instrumentales sont réussies, les parties vocales semblent quant à elles freiner la portée de l’album. Il faut avouer que le ton monocorde et répétitif qu’il emploie n’est pas des plus engageants pour l’admirateur des belles envolées chantées, d’autant plus que certains passages apparaissent parfois même simplement faux. Ceci est acquis. En revanche, il serait abusif, voire carrément calomnieux, d’excommunier l’art de Sol Invictus par ces seules revendications : si la fausseté peut parfois hérisser le poil, elle peut aussi, dans la mesure du supportable bien entendu, apporter au propos, en témoignage d’une sensibilité humaine, surtout lorsqu’il s’agit d’une musique si propice à l’émotion que celle chantée et jouée par Wakeford. Ainsi, les faussetés deviennent de véritables notes, une nouvelle manière d’exprimer son art. Il ne faut pas faire du chant l’argument anti-King & Queen, anti-Sol Invictus, puisque celui-ci définit par ses qualités, mais aussi et surtout ses défauts, la personnalité même du groupe. Mais ce n’est pas un hasard si, par la suite, des vocaux féminins plus expérimentés seront ajoutés à cette bien belle entité qu’est Sol Invictus.