Kingdom Come
5.5
Kingdom Come

Album de JAY-Z (2006)

" I told Jay I did a song with Coldplay / Next thing I know, he got a song with Coldplay "

23 novembre 2003, Madison Square Garden. Shawn Corey "Jay-Z" Carter tire sa révérence après un concert de charité qu'il qualifiera de "pot de départ" en compagnie des plus grands noms du hip hop américain. C'est officiel, le rappeur de Brooklyn se retire de la musique. Le public était prévenu, mais n'arrive sûrement encore pas à y croire. Lui qui dès la mort de son ami The Notorious B.I.G. avait endossé dans le coeur des gens le titre de "Roi de New-York", avait gratifié le public de vrais classiques (Reasonable Doubt, The Blueprint..), avait collaboré avec les pontes du milieu (Timbaland, The Neptunes), prend sa retraite après sept années de carrière qui ont fait de lui un membre à part entière de l'Entertainment américain.
Il faut dire que le bougre avait minutieusement soigné son retrait de la scène musicale avec ce qui devait être son dernier opus : "The Black Album". Et quel album. 14 titres qui lui donnent une allure de Best-Of, une dream team à la production dont le barbu Rick Rubin, et une sorte de retour aux sources avaient réussi à combler à la fois le public et les critiques. Le natif des quartiers Marcy Houses à Brooklyn ne pouvait pas faire mieux comme chant du cygne. D'ailleurs pour marquer le coup et montrer sa volonté de passer à autre chose, Shawn Carter "tua Jay-Z" (selon ses mots) à la fin du clip de "99 Problems" où on le voit se faire tirer dessus à plusieurs reprises. La boucle était bouclée.
Que l'on se rassure, le public n'aura pas attendu longtemps avant de voir le rappeur de nouveau dans les bacs. Jay-Z roi de l'intox ? Ce ne sera ni la première fois ni la dernière qu'il nous réservera des surprises. Le problème c'est que les auditeurs sont plus tombés sur des cadeaux empoisonnés que sur de véritables présents au cours des années qui suivirent. Comme la mauvaise idée de continuer dans la collaboration avec R.Kelly ("Unfinished Business) ou de rencontrer Linkin Park ("Collision Course"). Malgré tout, une grande partie de ses fans attendent un nouvel album solo comme le messi, de la part du nouveau président de Def Jam . Il semble loin le temps où il se proclamait "best rapper alive" à la fin de "Dirt Off Your Shoulder". Il fallut attendre 2006 pour que le souhait du public soit exaucé.
Avec 680 000 copies vendues lors de la première semaine, "Kingdom Come" est l'exemple type de l'habit qui ne fait pas le moine. D'un côté son album le mieux vendu lors de la première semaine et numéro 1 du Billboard 200, de l'autre une véritable déception quant au contenu, surtout vis-à-vis de l'attente suscitée par les fans.
Première chose qui pouvait nous mettre la puce à l'oreille, le titre de l'album. "Kingdom Come" renvoie à une symbolique particulière, qui devrait parler aux fans de comics, mais surtout une occasion de voir que Mr. Carter a bien le melon. Au départ c'est une bande dessinée qui conte l'histoire de Superman aidé d'autres grands super-héros, qui doit reprendre du service afin d'aider les nouveaux super-héros à devenir des vrais sauveurs de la planète. Faites le parallèle avec le monde du rap, et vous obtenez un Jay-Z persuadé d'être envoyé en mission afin de sauver le hip-hop et influencer la nouvelle génération. Tout un programme pour Hova ,qui ces derniers temps était plus un trentenaire businessman, plutôt qu'un vrai rappeur, du moins à ses heures perdues.
Finalement, à y regarder de plus près, qui de mieux que l'ex Roi de New York pour guider la nouvelle garde dans le monde impitoyable de la musique ? Bien que sur le papier cela puisse sembler attrayant, sur disque c'est une autre paire de manche. Jay-Z, fort de son expérience, aurait pu jouer la carte de la maturité, ou du moins de l'humilité sur ce "Kingdom Come", mais c'était sans compter son amour pour sa propre personne, son penchant pour l'ostentatoire, et une suffisance assez déplaisante que l'on retrouve sur plusieurs titres.
Pourtant en écoutant l'intro "The Prelude", avec son ambiance léchée, faite de violons et d'une douce ligne de basse, on est en droit à s'attendre que les treize prochains morceaux suivent la même voie. Mais la joie est de courte durée et ça, dès le titre suivant. Dans "Oh My God", Jay-Z bascule dans les clichés avec le fameux morceau rentre dedans où sa voix se retrouve noyée dans un amas de cuivres et de cris qui devient très vite pénible. Avec Just Blaze aux commandes, on pouvait s'attendre à beaucoup mieux, mais Jay-Z semble tiré tout le monde vers le bas tout au long de l'album. On en vient même à regretter l'utilisation du sample de Public Enemy sur "Show Me What You Got" tellement il ressort comme un sentiment de travail fait par dessus la jambe de la part de tout le monde.
Pourtant nombreux sont ceux de la nouvelle garde qui tueraient père et mère pour travailler avec la dream team que Jay-Z s'est payé pour cet album. Rien que le mixage est assuré par Dr. Dre en personne, fait qui rend le faible niveau du CD encore plus incompréhensible quand on connaît la minutie et le perfectionnisme du docteur. Just Blaze n'est pas le seul mauvais élève à mériter le bonnet d'âne. Toute la bande y passe, des Neptunes à Swizz Beatz. Seul Dre s'en sort de justesse en signant la prod du meilleur titre de l'opus. "Lost One" prouve que Jay-Z maîtrise son sujet sur une prod minimaliste au piano, où il nous parle à la fois du décès de son neveu, de sa dispute avec son vieil ami Damon Dash (avec qui il avait fondé Roc-a-Fella) et nous laisse supposer que la fille dont il parle est la chanteuse Beyoncé.
Jay-Z arrive tout de même à nous surprendre en consacrant un morceau entier à l'ouragan Katrina. La musique de "Minority Report" ne casse pas des briques, mais l'on peut ressentir de l'émotion à travers la voix de Shawn, ce qui ajoute de la plus-value au titre. Ne-Yo finissant le travail sans trop forcer. "I Made It", bien d'assez bonne facture rappelle "Blueprint (Moma Loves Me)" en moins émouvant (The Blueprint,2001), "30 Something" n'arrive pas à la cheville de "99 Problems" (The Black Album, 2003) tandis que Dre est décevant avec la prod de "Trouble" et "Dig a Hole" à l'effet d'un pétard mouillé là où il se voulait explosif.
Le pire est à venir. La réunion de Jay-Z, Pharrell Williams et Usher sur "Anything" aurait mérité le prix de la pire collaboration de l'année. Tout y est raté, des futilités sur les femmes lancées par Jay sur une prod à vous donner la migraine jusqu'au refrain en toc des autres compères qu'on a rarement senti aussi transparents ("you know, you know, you know, you hot... especially when you bounce, bounce..). La relation entre Jay et Beyoncé étant un secret de polichinelle, nos lèvres brûlaient de savoir si la belle allait se retrouver sur le CD. C'est chose faite sur "Hollywood" et le moins que l'on puisse dire c'est que le morceau est anecdotique si on le compare aux bombes que sont "Crazy in Love" ou "Bonnie and Clyde '03", alors que le titre aurait pu être un véritable hit si il avait été mieux travaillé, et aurait pu tirer le CD vers le haut. On se retrouve avec un morceau où les tourtereaux nous racontent la futilité de la vie de stars, sujet à des années lumières de l'émotion de "Minority Report".
" I told Jay I did a song with Coldplay / Next thing I know, he got a song with Coldplay / Back of my mind, I'm like, / "Damn, no way "
(J'ai dis à Jay-Z que j'avais fait une chanson avec Coldplay / Aux dernières nouvelles il a fait une chanson avec Coldplay / Quand j'y repense je me dis "c'est pas possible").
Signé Kanye West dans "Big Brother". Morceau où le jeune loup devenu superstar ouvre son coeur à son mentor. Jay-Z opportuniste ou homme prêt à tout ? Le Grammy du meilleur album rap de l'année pour "Graduation" sera pour West le moyen de se venger de ce coups bas alors que "Kingdom Come" était aussi en compétition. De plus, "Beach Chair" en featuring donc avec Chris Martin de Coldplay n'arrivant aucunement à faire de l'ombre à "Homecoming", repart de nos esprits aussi vite qu'il est arrivé.
Seul point positif, "Kingdom Come" fut vendu avec un filtre rouge par dessus la pochette, laissant découvrir une image différente de Jay-Z selon si l'on regarde le recto ou le verso. Celle du Jay-Z de la rue et l'autre celle de l'homme d'affaire. Soit les deux casquettes qu'il a essayé en vain d'endosser à travers cet album. Les collectionneurs apprécieront toutefois. Les européens pouvant même trouver un deuxième CD où l'on retrouve le making of du clip de "Show Me What You Got" ainsi que des extraits de concerts. Ce qui reste au final une mince compensation face aux inégales 59mn de l'album.
Avec "Kingdom Come" Jay-Z pensait peut être retrouvé l'éclat de 2003 et son trône de Roi de New-York, mais à cause d'un travail inégal et avouons-le bâclé, le mirage de son nouveau royaume se désagrège petit à petit devant nos yeux et l'ombre du coup marketing parfait apparaît plus que claire.
Stijl
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le 8 nov. 2012

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