Suivant Skepta depuis près de dix ans désormais, il va de soi que l’engouement qu’il suscite hors des frontières britanniques me faisait encore plus attendre la sortie de son nouvel album, Konnichiwa. M’étant déjà exprimé sur le spécimen, je me focaliserai ici sur l’album.
Evidemment et heureusement, les influences grime sont omniprésentes et Skepta nous régale de couplets avec sa diction si particulière. Une seule exception et il s’agit d’une horreur : Numbers feat. Pharrell. Pharrell est un grand producteur. Mais l’univers Neptunes ne colle pas du tout avec celui d’East London. Skepta a voulu recruter une star au mercato, il l’a eu… pour le pire morceau de son album, qui casse la dynamique de Konnichiwa. N’est pas le Barça qui veut (normal quand l’on vient de Tottenham).
Autre point négatif : Trop de titres ont été dévoilés avant la sortie de l’album. It Ain’t Safe (feat. Young Lord), Ladies Hits Squad (feat. D Double E et A$ap Nast), Shutdown et That’s Not Me (feat. JME) sont des morceaux déjà connus depuis un moment et, excepté Ladies Hits Squad, représentent des titres phares de Konnichiwa. Regrettable pour un CD de douze titres.
Pour ceux qui découvriront Skepta avec cet album ou n’ont pas entendu les titres ci-évoqués, sachez-le d’emblée : c’est une tuerie.
Skepta démarre sur les chapeaux de roue avec Konnichiwa, enchaîne dans la plus pure tradition londonienne avec Lyrics et traverse une ambiance plus brumeuse dans Corn On The Curb. La première gifle arrive avec Crime Riddim : montez le son, laissez-vous emporter par la vibe et prêtez une petite oreille aux paroles. Ne baissez pas le son à la fin du morceau : It Ain’t Safe suit. Si Skepta fait un pas vers les ambiances rap, Young Lord en fait un vers le grime. Le titre est déjanté, percutant… Montez le niveau de vos enceintes au maximum, levez les bras, bougez la tête, sautez dans tous les sens, prenez-vous pour un hooligan, tout ça tout ça…
Petite accalmie avec Ladies Hits Squad et le Numbers dont j’ai déjà dit tout le mal que je pensais. Ladies Hits Squad n’est pas dégueu, loin de là, mais on s’éloigne un peu de l’ambiance grimey de Skepta et on sombre dans le déjà entendu.
Sept minutes de repos auditif pour repartir pour un dernier quart d’heure de folie. En bon supersub britannique, Skepta maîtrise le money time et tue le match dans le dernier quart d’heure.
Le grime est né sur un fond de désœuvrement social. Au-delà d’un style musical, le grime est un pétage de câble (ce dont les eski beats sont le parfait reflet), l’explosion d’une jeunesse à bout de nerfs (on se rappelle du Pow 2011 de Lethal Bizzle lors des émeutes de Londres). Le clip de Man en est une reproduction cinématographique :
Pour info, Skepta a la trentaine passée. Et quand il est fâché, il casse des voitures et tague le nom de son crew dessus. Manuel Valls appréciera.
Shutdown suit. Un morceau où l’on entend la voix de Drake (LIEN HYPERTEXTE) en intro, en guise d’hommage au rappeur canadien. Ne baissez pas le son, plus c’est fort, mieux c’est dans ce cas.
La gifle arrive : That’s Not Me. Le meilleur morceau grime de l’année 2015. Une instru dans le plus pur esprit grime, avec un refrain des plus introspectifs :
Nah, that’s not me
Act like a wasteman ? That’s not me
Sex any girl ? Nah that’s not me
Lips any girl ? Nah that’s not me
Yeah, I used to wear Gucci
I put it all in the bin cause that’s not me
True, I used to look like you
But dressing like a mess ? Nah, that’s not me
Et un clip des plus simplistes :
80 euros de budget et un award pour le meilleur clip. Autant dire que les autres nominés ont crié au scandale. Ce refrain et ce clip révèle l’esprit de Skepta. S’il est l’une des têtes de gondole du mouvement grime depuis ses débuts en 2006, Skepta s’était perdu dans le faste du bling bling, les compromis avec les maisons de disque pour passer en radio, le strass et les paillettes. Les critiques sur son dernier album de 2011 l’ont affecté et profondément remis en question. That’s Not Me signe le retour du Boy Better Know : fini les clips à gros budget, fini les vêtements de luxe qui ne sont pas destinés aux gens comme lui, fini les mises en scène… Skepta est un artiste de rue et garde son art dans la rue.
Le londonien a fait parler la poudre et si l’album était un match de foot, on pourrait dire que Tottenham (quartier d’origine de Skepta) mène au score avec trois buts de leur attaquant vedette de 33 ans d’origine nigériane : Joseph Junior Adenuga.
Le match est plié, Skepta invite ses acolytes du BBK pour une Detox à l’instru bizarre, aux couplets de barge… dans la plus pure tradition anglaise. Satisfait de sa prestation, Skepta quitte le terrain sur Text Me Back, révélant ses états d’âme quant à certaines femmes, dont sa tendre maman.
Bilan : Konnichiwa est l’album censé offrir une dimension mondiale à Skepta. Ceux qui le découvriront avec cet album seront sans doute époustouflés et déboussolés devant tant de folie, d’énergie, de percussion et de flow.
Ceux qui connaissent le gus seront certes moins surpris mais pas moins ravis par la ration servie par le MC londonien. Skepta a sélectionné les ingrédients les plus traditionnels du grime anglais et ajouté quelques condiments américains dont il aurait bien pu se passer.
Konnichiwa est le début d’un nouveau cycle pour Skepta : la notoriété mondiale. Le respect de ses pairs (Drake, A$ap Rocky, Kanye West) et sa notoriété au Royaume-Uni lui ouvre de nouvelles portes. A lui de ne pas (re)tomber dans les travers de la musique mainstream et préserver la marque de fabrique du grime, si caractéristique de la folie anglaise.
L’Ours Blanc