En 2003, la Grime était censée être énorme. Elle allait traverser l'Atlantique et changer à jamais le visage de la musique britannique. De toute évidence, cela ne s'est jamais vraiment produit, mais fin des 10's, grâce à une activité renouvelée et à l'intérêt de stars américaines comme Drake et Kanye West, elle a enfin réussi à remplir sa promesse initiale.
Skepta a été au centre de la résurgence plus que tout autre MC, et Konnichiwa est comme un point central pour le mouvement, un résumé de ce qui s'est passé auparavant, tout en poussant le genre dans de nouveaux endroits.
Après des années d'attente et une date de sortie repoussée, Skepta a livré, début mai 2016, un grand album qui apporte l'énergie de la Grime, mais pas que, tout en évoquant ses expériences personnelles, ses ambitions et les griefs d'être une figure de premier plan dans l'industrie. C'est l'histoire de sa vie depuis son ascension.
Skepta, avec Konnichiwa, agite le drapeau de la "Street Culture UK"
La chanson titre de l'album s'ouvre sur le son des sinistres slashs de samouraï avant que Skepta ne roule sur une ligne de basse sale. Le crochet d'ouverture de la piste pourrait être l'explication derrière la sortie longtemps attendue de l'album; "By now you should know I hate waitin'/I got no patience/right now man are tryna get out the matrix/far from the agents" Putain cette intro me rend ouf!
"Lyrics" apporte une ligne de basse plus lourde dans une folle prod de Novelist, l'un des nouveaux talents les plus en vogue en 2014/15/16. Comme «Konnichiwa», cette piste fait référence à "Boy In Da Corner" de Dizzee Rascal , ce qui souligne davantage l'importance de l'histoire de la Grime dans l'album. Comme s'il y avait un changement de statut. Skepta, le dernier des pionniers de la grime, amène les talents à venir avec lui.
"Corn on the Curb" reflète l'humour noir souvent présent dans la Grime. Comparé au rythme effréné du titre précédent, ici le kick épais, la basse sourde, les synthés spatiaux et les pianos arpégés mènent la danse. Le Skepta de cette chanson est Skepta la superstar. Cependant, il avoue également subire "pressions folles de tous les côtés'', ce qui est livré lors d'une conversation téléphonique dans la chanson. Tout cela semble impliquer que le comportement de diva n'est qu'une façade.
"Crime Riddim" est un moment fort. Ici, Skepta est à son meilleur niveau lyrics, la chanson raconte une histoire sur une rencontre avec la police et le rythme est le plus varié. Un hymne anti-autorité dur comme un bloc de béton La chanson se termine par un autre appel téléphonique enregistré; cette fois avec Skepta narguant un Américain. On a l'impression que Skepta dit aux gens qu'il ne se vendra pas au public américain. Mais on y croit pas un instant.
Surtout que Pharrell produit et se met en vedette sur le morceau "Numbers". On s'éloigne logiquement du son pur UK, c'est le moment le plus pop de l'album. Le rythme de ce morceau sautille tandis que les autres rébondissent plutôt, la nuance est fine je l'avoue.
Une autre collaboration américaine est avec A $ AP Nast sur "Ladies Hit Squad". Skepta, la aussi, innove, et c'est même comique quand on entend A $ AP Nast avec sa version de Hotline Bling en intro. Le titre ressemble beaucoup à la scène torontoise influencée par Noah "40" Shebib, avec des chants décalés et des berceuses de synthés tourbillonnantes.
Le single "It Ain't Safe", succès en club - fait allusion à son ambition d'attirer l'attention des États-Unis. Et oui, le titre indique sa capacité à traverser les frontières tout en mélangeant des éléments Grime avec des éléments de NWA et une référence à Lil B the Based God.
La confiance de s'exprimer traverse tout l'album, en disant “them man have got an obsession/ with my style of expression” sur "Man". Échantillonnant la chanson "Regular John'' de Queen of the Stone Age, il crache avec de nombreuses phrases mémorables sur la façon dont lui et son gang sont les nouvelles rockstars de Londres. Avec cette tuerie, Skepta indique le chemin qu'il a parcouru et sa méfiance à l'égard des étrangers.
Et que dire de "Shutdown"? Sorti un an avant, le titre de l'été UK 2015 a été le catalyseur de la renaissance de cet fameuse Grime, que beaucoup pensaient avoir stagné au début des années 2000, la Hype est montée de manière spectaculaire. "Shutdown" s'ouvre et se ferme avec des échantillons de Drake et Skepta lui même, bref échange, gros effet. Pour le reste, ce n'est rien d'autre qu'un monstre absolu de "Fast-Rapping" à bout de souffle sur un rythme qui ressemble à des portes de vaisseau spatial qui claquent. Interstellaire!
"That's no me" avec le frérot JME, comme "Shutdown" était sorti bien avant, été 2014! C'était le premier signe que ce qui attendait l'auditeur allait être sacrément méchant. L'un des sons de synthé les plus emblématiques de la grime, un son électrique très rétro sur un rythme très typique mais enflammé.
Les potes du label BBK (Boy Better Know) viennent s'amuser sur "Detox", dont l'ambiance rappelle Le Bristol de Massive Attack, l'instrumental est inquiétante.
KONNICHIWA se ferme avec "Text Me Back", instantanément mémorable avec ses paroles plus émotionnelles. Une preuve supplémentaire que cette Grime a le droit d'être une des forces musicales dominante du 21e siècle. "Text Me Back" agit comme un final sincère même si, heureusement, les instrumentaux n'ont rien perdu de la teinte froide qui fait la marque cet album.
Konnichiwa est probablement le premier album grand public à succès à afficher les vraies racines Grime.
En tant que rappeur et parolier, Skepta est facilement l'un des meilleurs artistes dans son domaine. Tout au long de l'album, il parle de sa fidélité à la scène : “when I get through I’mma bring my dargs / 2 by 2, man a walk on the ark” - des "étrangers" essayant de copier son style - “they tryna steal my vision / this ain’t a culture, it’s my religion” - et sa méfiance pour l'autorité - “it ain’t safe on the block, not even for the cops”. Tout au long, sa voix reste étroitement enroulée, agressive sans devenir abrasive.
Skepta est charismatique sur chaque titre.
Il a redéfinie le genre avec cet album fantastique qui accroche sans être populiste et expansif sans abandonner ses racines.
Skepta mérite tout le succès qu'il a obtenu, et bien plus encore.
9/10