L'Espoir
8.2
L'Espoir

Album de Léo Ferré (1974)


Chapitre 2 : L’espoir



Je n’ai pas tout dit de mes chagrins particuliers, la dernière fois, mais je raccroche : le spectre du deuil familial couvait sur mes heures blanches, comme la Nuit paralytique et sans croissant, et pour recouvrir ce spectre, je me laissais aller aux musiques désencordées, dans la rue, la Musique, et non pas dans des salons lustrés où rient les empaffés…


Cela devait être, cela EST ; après voilà bientôt cinquante semaines -à prononcer avec un léger ploc de la langue française, sur le Kant- sans nouvelles du fond, sans en avoir espéré d’ailleurs, je le revis, il me ravit.


Un vieux corbeau blanc, d’un blanc de négrier, gérontophile patenté ; et d’un rouge sanguin et charnel. Ce vieux corbeau chantait Poe, sifflait pas mal, et déclamait des déclamations hors-principe.


Et il ionisa ma lucidité ; ma lucidité substrat, manquante d’ions négatifs, terrible positiviste que je suis. Dans l’anonymat de ma conjugaison, je/tu/il/nous/vous/elles ramena l’Espoir, d’une bedaine gonflante, gonflant le sentiment ; le ressenti-portion des mélos à deux balles, qui m’était déjà repoussant, me devenait exécrable et calcaire, le sel des larmes les rendant friables.


J’étais amoureux, sans me l’avouer. Platoniquement, malheureusement, une Bougie qui meurt ? A en croire le palpit type syncope-de-jazz, jamais je n’étais aussi vivant.



On dit dans ton quartier… Que dit-on déjà ?



Des remontrances de principes, de lubriques non-assumés : on n’accepte pas qu’un amour
naisse si vite. Il lui faut un cachet, un permis.



Tu as un permis ? Des papiers, poète ?



Poète, je ne l’étais pas ; pas vraiment, j’écrivais alors bien peu, juste histoire de ; un « manuscrit » pixelisé pour le journal de l’École, pour 3 copains qui liraient dans leur torpeur, quelque chose de bien justifié, à la police déterminée, fixée, banale. Je m’éployais à créer, pourtant, dans une école misérable méprisant l’Art, lui préférant les muscles suant, les fards onctueux de l’allure et les succès altiers…


L’allure, toujours l’allure, le théâtre m’en sauvait ; porter un masque pour jouer, c’est toujours moins convenu qu’en porter un pour vivre. Après la galère sur la mer-cube des Prés. Sups. Osées, le mousse que j’étais pouvait finalement se lever avec précaution, sans roulis/tangage/lacet, et ne pas juste se dire que c’était un jour à rentrer dans un moule, forgé demain matin.


Débauché, je m’enfarinais alors de sociales accolades, des marées de personnes me remontant un peu la gorge, comme remontent les algues bleues au fond de l’océan sauvage atlantique, qu’on pouvait voir en moins d’une heure de route… La route, on ne la faisait que trop rarement… Mais ça ne m’empêchait alors de me perdre dans les méandres et détours de tes cours d’yeux, de prunelles conçues de tête, d’architectures du visage taillé par le burin des mots ; et de la Musique, toujours la Musique, revenant sans cesse charriée par l’onde, comme le clame cet Ané, camarade nantais, camarade d’autres nuits-conseillères à l’écouteur et au casque® homologué.


Mais c’était Ferré que j’imaginai au plus profond de ma tête. Je le rencontrai ; et m’entretenait comme l’on peut s’entretenir avec des esprits : en faisant un petit jeu de remue-méninges percussifs et déroutant, un peu comme ça, tu vois ?



~--{---_\’~ »\


Et donc je m’entretenais…




  • Je suis déjà amant de l’amer, de la mer, et de tant d’autres femmes et hommes qui vous laissent un goût dans la bouche, un goût de loges
    charnelles… J’ai déjà trompé le monde. Et surtout, je suis mort, tu
    sais ?

  • Je sais déjà tout ça, tu l’as chanté. Merveilleusement, qui plus est. Je veux jouir d’une mort certaine, et… Particulière. Être délivré
    morbidement, et mordre dedans. Rompre et crisser vers cette glaciation
    pure/maculée, et trembler, et ployer. Perler, quitte à rester collé et
    sec dans cet automne, qui tonne.

  • Tu veux que je t’abstraie dans mon lit ? Dans mes rides et mes os ? Alors, lève-toi et marchons…


Rainure
9
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Créée

le 23 avr. 2016

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