La rue meurt, l'Ombre de la rébellion plane sans demi-Mesure
Face à tout ce rap ego trip commercial bling bling qui inonde les ondes, il est bon de déjouer ces clichés exaspérants et de s'en retourner à un rap poétique porteur d'un vrai message. C'est tout ce que la Rumeur nous présente là. Grosse pointure du rap conscient, La Rumeur brille de mille coups de feux dans cet album aux samples vraiment excellents, souvent jazzy, qui contrastent avec un côté hardcore utile au martèlement de paroles sur-engagées. Il faut dire que Ekoué et Hamé sont loin d'être de gros débiles : le premier, fils de commissaire, peut se vanter d'être titulaire d'une maîtrise en Sciences politiques, d'un DEA en Droit public et d'un doctorat (une thèse sur "l'abstention dans les zones urbaines sensibles" soutenue en 2010), le second d'un DEA en audiovisuel et en sociologie des médias.
Pas de demi-Mesure, l'Ombre de la rébellion plane violemment sur cet album sans concessions. C'est brut, sincère, et pourtant loin d'être maladroit. On tape gentiment sur la police, sur les injustices, les discriminations raciales, les préjugés sur les cités... Un article intitulé "Insécurité sous la plume d'un barbare" rédigé par Hamé dans un magazine promotionnel vendu avec l'album lors de sa sortie, a d'ailleurs valu à ce dernier un procès pour "diffamation publique envers la police nationale", procès dont le verdict innocenta Hamé, devant nécessairement jouir de sa liberté d'expression.
Les paroles sont ciselées avec précision ; la plume est très fine : moult figures de style, jeux de mots, métaphores, homophonie, assonances, allitérations... Le vocabulaire est bien soigneusement choisi : on passe de l'argot à un langage vraiment soutenu sans que cela ne soit pour autant choquant :
"Lesquels se heurtent au répondant sans faille des éventuels resquilleurs
Qui veulent d’abord de la maille avant de trouver du travail
Le ciel commence à se couvrir, à l’instar d’une marée furieuse
Dès que les subventions se retirent, la rue devient marécageuse
Et la répression aussi cruelle que la récession
L’actuel maire d’Elancourt n’est qu’une sale pédale
Qui ne peut se déplacer sans sa police municipale"
extrait de "A 20 000 lieues de la mer"
Le flow des mots s'élance comme une berceuse, pour mieux éclater comme une bombe ("dont tu as allumé la mèche, et qui égrène les secondes d'une saison blanche et sèche"). Une rage hypnotique, d'une sincérité folle. Mon amour des mots est comblé.
Des qualités musicales donc mais surtout littéraires. J'ai fait le pari de travailler sur quelques chansons de la Rumeur avec ma classe de 3ème pour la séquence sur la chanson engagée, et ça fonctionne plutôt bien (et ça donne une image de prof trop cool).
Il est peut-être important de préciser qu'avant La Rumeur je n'écoutais pas trop de rap, si ce n'est Klub des loosers, et que cet album a vraiment contribué à me faire adorer ce genre musical (et je garde du coup une petite préférence pour le rap conscient). Un gros gros coup de coeur. Rien n'est à jeter, de l'intro ("Entrée") au final ("Sortie"), en passant par les interludes, les chansons plus calmes (notamment le magnifique "Le Cuir usé d'une valise"), les gros morceaux bien hardcore ("le Prédateur isolé")... L'ambiance film noir - jazzy de certains morceaux est délicieuse (et là je pense surtout à "Le coffre-fort ne suivra pas le corbillard" avec un extrait du film La Métamorphose des cloportes de Pierre Granier-Deferre).
Bref, un monument !!!!!!!!!!!!!!