"- Comment définirais-tu la musique de Nirvana ?
*des mains qui tapent en rythme sur la table, Dave Grohl qui entonne un "nana na na na na"
Kurt Cobain : - Avec un peu de citron !
*en saisissant d'un citron et en le pressant devant la caméra*"
http://www.youtube.com/watch?v=1xZ_x-dP7tA
1991, Nirvana a montré au monde entier qu'avec 4 accords on peut faire des merveilles. C'est un véritable boulot d'alchimiste.
Les années 80 étaient bourrées d'un glam ultra prétentieux et kitschissime au possible. Le punk rock était mort depuis quelque temps ; mais à Seattle on y rêvait encore... La bête attendait bien sagement son retour.
Nevermind, l'album d'une génération qui ne fut hélas pas la mienne (un de mes plus grands regrets une fois ado). Nevermind comme Nevermind the bollocks des Sex Pistols, emblème punk rock de la fin des 70's. Nevermind, c'est de la fraicheur, c'est le retour du punk rock et de sa simplicité dévastatrice au-devant de la scène musicale internationale. Efficace, dynamique, cet album balaie tout sur son passage pour s'imposer comme une évidence. C'est une libération, une pied de nez à toute cette complexification de la musique, à tous ces codes balancés dans une surenchère étouffante.
Du jour au lendemain, Seattle devint, grâce à Nevermind, un eldorado musical, les maisons de disques s'y ruèrent en quête du prochain groupe grunge à la mode. Seattle n'avait pas eu une telle importance musicale depuis Jimi Hendrix.
Voilà pour le contexte, maintenant penchons-nous plus précisément sur ce chef-d'œuvre.
3 - 4 accords basiques, des solos peu complexes, pas de quoi fouetter un chat dira-t-on. Oui mais non. Ces 3 - 4 accords posent une base simple mais d'une efficacité redoutable, l'alternance de passages calmes et plus violents est tout à fait judicieuse et apporte une vraie tension. Imiter Kurt Cobain, c'est-à-dire rejouer ses compositions, est plutôt facile, je le concède, mais composer des rythmiques aussi efficaces soi-même comme le fit Cobain, c'est un peu plus délicat. On ajoute à cela une voix éraillée au possible (et quelle voix ! capable de chanter plus que correctement, de gémir avec émotion et de crier toute sa rage et son désespoir), des chœurs dans une pure tradition pop, une batterie galopante, une touche de basse un peu groovy. C'est entrainant, c'est entêtant, obsédant, comme un morceau pop version punk rock qui aurait perdu de sa naïveté. Oui parce que simple ne signifie pas ici léger.
Les chansons offrent un climat semé de quelques ombres que l'on retrouve davantage dans les paroles mystérieuses de Cobain. Celles-ci alternent paroles sérieuses et auto-dérision, Kurt Cobain détruit constamment son discours (chose qui est beaucoup plus présente dans son Journal) : extrait de Lithium :
"I'm so excited
I can't wait to meet you there
But I don't care"
Le sens est parfois délicat à trouver sous cette tonne d'allusions étranges, mais les paroles ont la capacité de fonctionner comme des incantations, elles marquent l'esprit et coulent de source. Je ne vais pas oser mettre les paroles de Cobain au niveau des poèmes de Mallarmé qui cherchait, lui, l'incantation, mais ce que Cobain recherchait c'était dans le fond peut-être quelque chose de similaire qui ne s'attarde pas sur un sens trop net et vain que l'on pourrait épuiser en une seule écoute.
Nirvana c'est dire une chose et son contraire, c'est une dualité, une contradiction, c'est être sérieux et l'instant d'après déborder d'humour et se détacher. Nirvana ne sait pas choisir entre le théâtral et l'humour. Comme je l'ai souligné, on retrouve cela dans la structure des morceaux, alternant passages calmes et furieux. Notons que cette poétique correspond tout à fait avec le fait que Kurt Cobain souffrait de troubles bipolaires. Du côté de la carrière de Nirvana et de leur image médiatique, on peut constater que seul l'aspect détaché et humoristique reste, toujours à chercher la dérision et la provocation.
A propos des solos, nous avons là une guitare qui reprend parfois la voix, ou qui s'écrase dans un brouaha digne de ce qui deviendra le noise. La guitare n'est plus cet instrument béni des dieux, on la détruit sur scène tout en continuant de jouer (ce qui n'est pas une innovation quand on sait que les Who firent de même), on la martyrise dans une nouvelle maitrise plus osée, qui ouvre la voie vers de nouvelles sonorités parfois dissonantes. On balaie la recherche technique parfaite, pour se lancer dans la créativité plus pure, avec moins de contraintes et plus de feeling. On parodie les solos de guitare interminables et on va à l'essentiel : une libération de la musique, une libération par la musique.
On touche aussi à la ballade avec Polly et le dépressif Something in the way. L'émotion doit passer, on fait fi des artifices. Une guitare sèche suffit. Le résultat est tout aussi bluffant de simplicité et d'honnêteté. Car oui c'est peut-être cela le mot : L'HONNETETE. On sent la volonté de faire une œuvre véritable et sincère, on sent cette volonté chez Cobain de se défaire des masques sociaux et des artifices, de ne pas se camper dans un rôle, de ne pas se comporter comme une superstar assoiffée par la gloire. C'est peut-être cette impossibilité d'y parvenir, d'être considéré pour lui-même, qui le poussera au suicide le 5 avril 1994.
Quant aux morceaux plus spécifiquement, il faut évidemment mentionner Smells like teen spirit dont la première écoute à l'époque me hérissa tous les poils naissants. Comment avais-je pu passer à côté 15 ans durant ? Ce morceau me parut tellement évident que son existence se justifiait à elle toute seule. Mais c'est ce morceau et cet album (oui toi Nevermind !) qui firent de Nirvana une icône mondiale et qui - encore une contradiction ! - firent du groupe un produit de consommation, détruisant par là-même cette volonté première d'honnêteté.
Ce n'est pas un hasard si le groupe refusait de jouer Smells like teen spirit à certains concerts. Personnellement, je préfère aujourd'hui, et de loin, Lithium, doté d'une énergie incroyable, canalisée dans un refrain plus que prenant. Il est intéressant de souligner qu'au milieu de tout cela, de tous ces morceaux plus ou moins accessibles, Territorial pissings, une gueulante pure, véritable vestige punk rock, trône fièrement, ainsi que le furieux et dévastateur Endless Nameless, un ouragan grunge caché sur la même piste que Something in the way, quelques minutes après le morceau.
Nevermind n'est pas un monument pour rien. La structure simple des morceaux n'empêche pas pour autant de présenter de la profondeur. C'est prenant, envoûtant et libérateur à la fois. Une vraie touche de fraicheur dans le paysage musical de l'époque venue détrôner ce Michael Jackson qui squattait sa place de 1er des meilleurs ventes de disques aux USA.