La Fête avec Carlos
7.4
La Fête avec Carlos

Compilation de Carlos (1993)

La compilation grand luxe rehaussée de la présence du méga hit de 93 Papayou, a toujours fière allure plus de 25 ans après sa sortie et ne se contente pas de prendre en embuscade les courants grunge, electro et britpop de l'époque, mais propose une rétrospective sérieuse capable de satisfaire tant les aficionados que les néophytes.


Tous les tubes de l'adipeux Tsar de la "lubrique pop" sont là : L'hymne néoréaliste aux fils divorcés "la cantine", l'hédoniste  "la bamboula" que n'aurait pas renié Gainsbourg période Percussions, "senor météo" un chant partisan caché inspiré par le Che Guevera et les sandinistes.


Toutes les mélodies imparables du maître sont de sorties sur cette compilation qui ne néglige aucune facette du mythe Carlos : des débuts balbutiants anti-folk sur scène en sidekick rigolo de la grande Sylvie , à l'émancipation solo "Y a des indiens partout", et même à sa protest song anti raciste : "Tout nus et tout bronzés" attirera les foudres des identitaires de l'époque. Et puis bien-sûr "le tiercé", le brûlot national qui lui valu des problèmes avec le plus haut niveau de l'État.



" En quelques mois je deviens L'idole du Giscard, J'ai des milliards,
Dans les palaces, Près des flots bleus, Ah ! ce Qu'on est heureux
Monsieur Rothschild veut me voir, Mais je suis occupé, Comme le
dollar, J'en finis pas de monter"



Une punchline vertigineuse digne de Booba, et qui lui vaut actuellement la reconnaissance tant des Céliniens carabinés que des ligues pro-Palestiniennes qui y voient une charge virile d'un Gaulois sans peur et chrétien sans reproche contre Israël et les banques Mamoniques (hein voilà hein).


En 77 en pleine déflagration punk prônant le no future et l'anarchie, tout le monde attend de voir comment Carlito va ingurgiter ce nouveau courant musical contestataire, aux antipodes de son feeling suave qui flirte avec la Stax. Sans se démonter, il va prendre à rebrousse poil l'air du temps, et publier l'un des sommets de sa discographie : "Big bisous" (repris par les New-Yorks !), un véritable hippie manifesto à la fois sexy et narquois bien plus subversif que tous les coups de poings de 2 minutes assénés par les Buzzcocks, Richard Hell et autres Pistols qui toisent leur époque.


Bronze on bronze


En 93, Carlos se trouve à un carrefour, comme Dylan ou les Stones avant lui. Doit-il creuser le même sillon encore et encore et flatter ainsi ses fanboys de la première heure, ou doit-il se réinventer, quitte à bouleverser son public. En pleine dépression provoquée par le champagne rosé, les prostituées de luxe de Madame Claude qu'il fréquente avec assiduité, et l'impression d'avoir tout dit, il développe une paranoïa aiguë, et s'entête à vouloir expérimenter des pop songs nouvelles qui traitent de thèmes qui lui sont chers : l’aliénation, l'absurdité de la vie et les plages nudistes de la région PACA.


C'est ainsi que naît le single séminal "Papayou", d'abord refusé par sa maison de disque trop effrayée par cet objet bizarre anti-conformiste qui ne semblait avoir pour but que de triturer de nouvelles contrées sonores. Il va enfoncer le clou avec l'équivoque "tout nus et tout bronzés". C'est le hit absolu dans toutes les élections de Miss Camping. Mieux, l'hymne d'une génération décomplexée moins influencé par les dogmes libertaires de 68 que par les simples plaisirs du soleil Antigua.


Papayou  est hymne Tropicana dédié à son narcisse intime, dont il pond une tirade provocante digne de Cyrano, reposant sur un rythme catchy qui aura son petit effet sur la scène Madchester, les Happy Mondays étant particulièrement sensibles à ce tube de 3 minutes, dont ils s'efforceront de copier l'imagerie colorée et le sens de l'irrévérence ubuesque, et qui prendra place comme une indémodable milestone de l'amusement baggy du début des 90's.


Tirelipimpon a un son plus organique, comme le disait justement Christophe Conte au sujet de Laughing stock de Talk Talk, qui lui permet d'être toujours pertinent malgré les années et les modes qui passent. Tirelipimpon reste droit tel un menhir millénaire. Une mélodie tombée du ciel qui lui est venue en rêve (comme un certain Yesterday de Mccartney !).


La compilation se clôt avec Rosalie, son Angie à lui qui ne se contente pas de proposer un énième tube maîtrisé du bout des doigts boudinés, mais qui a modestement imposé la world music dans les foyers français des années 80.


28 ans après, tous les jeunes prétendants (de Patrick Sébastien à Patoche en passant par les comètes Philippe Risoli) se sont cassés les dents en tentant de surpasser ce maître étalon de la pop hexagonale. On peut certes distinguer l'ex-rugbyman animateur de la nuée de suiveurs. Il est même sage d'affirmer que Patrick Sébastien est à Carlos ce que Springsteen est à Dylan : un incontestable héritier direct.


Après sa prise de distance volontaire avec les charts due à son extrême lassitude vis à vis du rock and roll way of life, il se réfugie au sein de son rat pack Bouygo-tropézien (Philippe Bouvard, Eddy Barclay, Henri Salvador, Philippe Castelli) pour mener une vie simple et ascétique. Après avoir tant donné, il opte pour le repli total, un silence rimbaldien expérimenté avant lui par Syd Barrett. Il meurt d'un cancer du foie (mis à rude épreuve) en 2008 à Clichy, où il était venu passer quelques jours tranquilles. Ses nombreux fans se consolent depuis avec ce best-of taillé dans le muscle.


Seul bémol, l'absence d'édition Deluxe proposant des versions démos comme le fameux bootleg "le baise-en-ville mais pas que" et sa reprise polissonne d'Arthur Lee "Five string brésilien serenade" avec Sim aux maracas, (sans compter les versions live de l'album Nostracarlus à la Gogeta Arena de Fukushima de 79).


Au moment où j'écris ces lignes, Carlos est au paradis (ou plus probablement en enfer) et tape un bœuf avec Dean Martin, son ami Hendrix et Alice Sapritch. Et ils doivent bien se fendre la gueule.


So long Jean-Chrysotome...


Philippe Créneau pour R&F.

Negreanu
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le 7 févr. 2021

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