Il nous l'avais bien dit, l'ami Dominiqua Ané : en 2018, il y aurait un album électrique et un album acoustique. Après "Toute Latitude", pas mal électronique aussi, voici donc "La Fragilité", pas si acoustique que ça. Comme quoi, les meilleurs plans... débouchent au final sur quelque chose d'un peu imprévu.
On nous explique aussi que cet album consacre les retrouvailles de A avec sa vieille guitare, et que la disparition de Leonard Cohen a imposé le format, dépouillé, en son hommage. Et il est vrai que l'album commence sur des arpèges de guitare acoustique typiques du vieux maître et l'un de ces textes à la fois implacables et hypersensibles qui sont la marque du talent - immense - de Dominique A : "la Poésie" fera sans doute partie des plus beaux morceaux de son auteur.
Pour le reste, et c'est logique, "la Fragilité" est surtout le petit frère jumeau de "Toute Latitude", qu'évoque le graphisme du titre et la pochette monochrome, un bleu violet intime mais aveuglant ayant remplacé l'orange blessant de son prédécesseur. Plusieurs titres se répondent d'un disque à l'autre, que Dominique nous parle de la campagne - dure, peu aimable dans "le grand silence des campagnes"- ou de la guerre - inhumaine et indépassable dans "le Ruban". Ici et là, des percussions ou des claviers brouillent le projet, loin d'être aussi acoustique que "promis". Solo, oui, mais de toute manière, même accompagné d'un groupe, A n'est-il pas un artiste profondément solitaire ?
La manière dont "la Fragilité" nous touchera ou pas, un peu, beaucoup, à la folie, dépendra forcément de chacun. De nos circonstances, de notre état d'esprit. C'est sans doute un disque qui, paradoxalement, malgré la grande évidence de nombre de ses chansons et une indéniable familiarité de ses mélodies (les sourds et les mauvaises langues diront qu'il se répète...), exige que l'on vienne à sa rencontre : la fragilité est quelque chose que l'on cache, de nos jours, n'est-ce pas ? On pourra y trouver de l'enchantement et un peu de fatigue aussi, mais à son âge, Dominique A cherche toujours. Et souvent il trouve ("J'avais oublié que je t'aimais autant", "Le temps qui passe sans moi").
On pourra aussi se dire que, en ne sélectionnant que les titres les plus forts de ses deux albums de 2018, Dominique aurait probablement réalisé le meilleur disque de toute sa carrière, et encore dépassé le triomphe artistique de "Eléor" : ce n'est pas faux, mais, au fond, on trouvera même dans ses chansons un peu moins marquantes, un peu plus "fragiles" suffisamment d'âme pour être heureux de les entendre.
Car la fragilité est une force.
[Critique écrite en 2018]