La nausée est le troisième opus du groupe, présenté comme la conclusion de cette trilogie frontale et engagée, auto-produite depuis la première heure. C’est un visage martelé mais certainement pas résigné qui orne ce nouvel album. En ouverture, Quelque chose se prépare témoigne de tout l’optimisme qui nait de ces plaies.
Le titre Redéfinition réaffirme certaines convictions (ou convictions certaines) du groupe. Celles qui avaient nourri les précédents albums Une goutte de miel dans un litre de plomb et Par temps de rage d’une vérité saisissante. Redéfinition, quand la mode est au changement. Il y a ceux qui redéfinissent pour dire qu’ils restent les mêmes et il y a ceux qui beuglent au changement pour ne rien bouger d’un iota. Allez savoir. A ces derniers revient néanmoins le mérite d’avoir inspiré le titre de cet album. Merci à eux.
L’identité sociale du rappeur était développée dans les deux premiers opus à travers des morceaux comme L’usine et Le dragon. Marc Nammour est d’origine libanaise et a grandi dans un quartier de cité majoritairement ouvrier. Cette identité ouvrière est le moteur du rappeur. Les préoccupations de La Canaille puisent essentiellement dans le contexte politique et social français ; Jamais nationale est le porte-drapeau de cette lutte menée par l’expression.
Cette voix n’a pas de couleur comme la connerie ou l’ignorance.
Elle puise sa force dans la douleur l’humiliation et les offenses.
La Canaille c’est un poing serré, levé bien haut. La Canaille c’est une plume aiguisée, capable de mettre la lumière là où la société n’a jeté que de l’ombre, en pointant du doigt Monsieur Madame par exemple. Le style de Marc Nammour, entièrement sans réserve dira-t-il, est expliqué sur le titre Décalé. La modestie y prime et adresse une réponse à ceux qui pourrait lui reprocher son écriture en prose. Une plume d’une justesse inouïe.
Je n’écris pas pour rimer mais pour exprimer
La Canaille c’est un angle artistique propre. La nausée traverse une multitude d’univers musicaux, épaulé de quelques featurings. L’album jongle entre les arrangements subtils et envoutants de Serge Teyssot-Gay (Noir Désir) et les scratchs de DJ Pone. Le refrain du titre Le Silence tranche avec la légèreté de Desséchée. On peut reprocher à cet album ce large écart, si ce n’est cette incohérence. L’agressivité du propos est parfois noyée dans la violence maladroite de l’instru, qui sème la confusion. Pornoland en est l’illustration : le propos est infiniment juste mais le refrain est musicalement trop belliqueux. Le featuring de Sir Jean sur Briller dans le noir n’apporte, de la même manière, pas grand-chose. Cette petite errance musicale avait déjà fait défaut sur Par temps de rage, alors qu’Une goutte de miel dans un litre de plomb renvoyait plus d’harmonie. Cet album révèle tout son arôme lorsque la profondeur et la détermination des textes émanent d’une musique plus lyrique.
Coup de cœur et mention toute particulière à Desséchée, un joyau d’authenticité. Le titre traite d’un sujet rarement présent au premier plan de l’œuvre de La Canaille. Fini le liquide ; plus de goutte de miel, plus de litre de plomb, mais une relation à bout de souffle et monotone. Desséchée. Un couple mis à l’épreuve de la vie qui me donne des envies de fredonner Léo Ferré. Avec le temps va…