Je connais mes limites, c’est pourquoi je vais au-delà. Serge
Gainsbourg
Je me rappelle très bien de la première fois que j’ai écouté Damien Saez. J’avais alors 17 ans, et j'étais lycéen en Seconde (Bac Pro SAPAT), dans un village nommé Caulnes et situé à quelques kilomètres de Dinan (Côtes d’Armor). J’avais entendu parler de lui dans un article de l’Express, et sa gueule m’a immédiatement marqué. Ses références aussi : un artiste ayant pour piliers Jacques Brel, Léo Ferré ou Barbara ne pouvait être qu’intéressant. En fouillant dans une médiathèque, celle m’ayant vu grandir jusque dans mes années lycée, je suis tombé sur sa rangée disquée : la pochette de « J’accuse ». Là encore une image marquante, sur laquelle planait une polémique ridicule et que j’ignorais encore. Je l’ai emprunté. Nous sommes en Mai 2015. Durant cette période, une fille appelée Virginie mobilisait mes pensées. Normal. Durant des mois, elle avait menti à ses amies du lycée en racontant des traumatismes terribles (genre avortement dans les chiottes par exemple). Faut savoir que ce lycée était un établissement difficile, mais je l’adorais pour sa lumière marginalisée et sa poésie sale. En Mai donc, elle a été « démasquée », et du jour au lendemain tout son entourage lui a tourné le dos : ses amis et amies, sa « touche », sa famille d’accueil, sa mère biologique, sa sœur jumelle. Tout le monde est parti. Sauf moi. J’avais pensé à Gainsbourg, l’homme qui portait un masque déformant pour cacher ses véritables blessures. Les siennes, c’était ses complexes, son incapacité à ne pas avoir peur des autres et à s’apprécier… Oui j’étais amoureux d’elle, fou même. Elle était un rêve qui s’exauçait pour moi, du style miracle inconcevable pour un crapaud comme moi. Et elle me regardait tellement différemment… Je ne pouvais que rester auprès d’elle. Même lorsque elle m’a mis un Stop. Nous nous sommes convenus sur une relation de meilleur ami, mais ça n’a jamais été qu’une immatriculation. Notre relation valdinguait entre meilleurs potes, amants fantômes, ennemis inséparables, et même père-fille.
Durant ce mois de Mai 2015, j’ai porté sa vie à bout de bras jusqu’à mi-Juin 2015. A porter son souffre sur mes ailes, pour qu’elle s’envole… J’y ai joué un risque complètement imprudent, et je n’aurais accepté qu’avec une fille pareille. Voilà le contexte dans lequel j’ai rencontré « J’accuse », chez mon père, dans le noir, allongé sur une chaise de bureau (oui). Je me rappelle encore de la claque : je n’avais encore jamais écouté une chose pareille. La rage de « Pilule » … La vérité de « Regarder les filles pleurer » ... Les larmes me sont venues avec « Marguerite », chanson à multiples sens mais qui restera à jamais pour moi avant-tout la description de mon Soleil adoré, et également avec « Tricycle Jaune », car celle-ci m’évoquait les sorties avec elle, quand tout explosait mais qu’il y avait notre amour qui restait debout et avançant droit devant. J’avais remis le disque une deuxième fois d’affilée, pour être bien sûr que j’avais écouté ce que j’avais écouté. J’étais un adolescent qui s’ignorait, qui ignorait dans quoi il s’embarquait, et je venais de trouver mon porte-parole. On a raison de le voir comme le chanteur de l’adolescence écorchée avant tout : je ne comprends juste pas où est le mal, à rester ado et écorché. Cet album m’aidera à supporter mon inquiétude permanente.
Définitivement intrigué, j’ai emprunté « God Blesse », ignorant que je faisais l’équivalent d’un saut entre l’Egypte et l’Italie. Pour la première fois, une œuvre d’un artiste m’ayant conquis m’a déstabilisé assez rapidement. Elle a néanmoins porté l’odeur de Juin 2015, celle où Virginie se relevait doucement, avec moi à veiller. « So Gorgeous » et « No Place for us » me font penser à sa magie, tandis que « Thème 1 » (le plus beau thème orchestral de Saez) ou « Isn’t Love 1 » m’évoque sa mélancolie. Parce que sa beauté du cœur et de l’œil avaient toujours une seconde couche plus profonde… « J’veux qu’on baise sur ma tombe » est bien sûr la plus belle, en Live ça rend toujours un instant gracieux de communion. J’ai traversé un Juillet très éprouvant pour moi, car très actif en terme d’activités, et simultanément j’affrontais pour la première fois un manque affectif très puissant. Sa mère d’accueil, possessive et tyrannique, ne voulait pas qu’elle ait de portable : j’attendais toute la journée un petit message d’elle par Skype. En août, isolé de tous, à Noirmoutier, j’ai fumé mon passé avec le Diable sur la plage. J’avais décidé d’assumer des responsabilités, qui à priori ne devait pas me revenir, mais qu’il fallait prendre pour elle, et c’était un honneur pour moi de les prendre. Je décidais de neutraliser ses complexes, de l’aider à se rééquilibrer, et la faire devenir celle qu’elle voulait être. Nous avons serré nos mains.
En Septembre, je découvre « Varsovie-L’Alhambra-Paris » : dès la première écoute, j’ai eu une relation particulière avec cet album spectaculairement déprimant. J’ai eu évidemment beaucoup de mal, encore détourné que j'étais, et c’est à Caulnes qu’il s’est révélé. Mais j’ai conservé avec lui une distance teintée d’admiration, à cause de son ambiance bien sûr, mais également à cause de son odeur. Celle de cette période où Virginie et moi étions les rois insoumis de notre monde. Celle de ce village où l’amour et l’art étaient partout. Celle de la campagne quand la pureté ne s’encombrait que de brumes… Durant ce mois-là, je l’avais prise sous mon aile, et assumait pleinement de jouer aux faux papas. Je la faisais parler, je la valorisais, je lui offrais de l’espoir… Tout cela que l’on se rendait mutuellement. Elle pouvait faire tourner la Terre juste en souriant. Voilà pourquoi, aujourd’hui, dès le premier accord de « Varsovie », j’ai l’impression de communiquer avec ma fille via un dialogue fantôme ; une note de « L’Alhambra » me rappelle le vent libre de Caulnes ; « S’en aller » me ramène à notre fureur d'énergie où chaque jour était une aventure différente et simplement belle. C’est donc le seul disque que je ne peux absolument pas écouter n’importe où et n’importe quand : je pleure très facilement intérieurement à son écoute, pour tous les espoirs désormais vacants que, paradoxalement, il portait, et par le fait que son désespoir formel soit à présent le mien. Mon top 3 du triple album comprend néanmoins « Anéanti », « L’abattoir » et « Alice ».
« Debbie » porte l’odeur d’Octobre. Là aussi, je l'ai découvert chez mon père, mais il a pris corps et âme pour moi à Caulnes. C’est le prolongement du mouvement de Septembre : Virginie s’accepte, vis pleinement. Mais je savais qu’il manquait encore quelque chose. C’est en écoutant le titre caché « Sakura », sur les ardoises du rebord de ma fenêtre étudiante, que je me suis dit qu’elle avait besoin également d’avoir des amies autour d’elles. J’ai bel et bien rassemblé des filles, dans le même état d’esprit qu’elle, et paumées un peu dans la jungle. Virginie avait fini par avoir sa bande à elle, et ce fut bouclé : elle était heureuse. Mon but était atteint. « Debbie » est pour moi la musique de notre victoire contre les fatalités, les rêves qui renversaient Dieu. « Céleste », « Marta » et surtout « Autour de moi les fous » sont des chefs d’œuvres pour moi. Je n’ai écouté le disque « Jours étranges » qu’en Novembre donc, le seul dans des conditions non isolées.
C’est surtout la découverte progressive de « Messina » en Décembre, par morceaux via l’Internet du lycée et de mes parents, qui est à retenir. Je pourrais écrire un petit livre sur ma relation très personnelle avec ce triple album, au passage mon préféré toutes catégories. Je ne me contente pas de parler à ma fille et revenir mentalement à Caulnes quand je l’écoute. Avec « Rois Demain », je me revois offrir ma bague à Virginie. Avec « Le bal des lycées », je me revois lui offrir son premier slow, après mon spoken-word ayant fait chavirer le lycée. Avec « les échoués », je me revois dresser le poing devant la pleine Lune, ayant tant l’impression de vivre un rêve avec elle. Je ne rentrerai pas dans les détails (écoutez absolument « A nos amours » !), mais « Messina » est un voyage de 2 h 30 avec moi-même, mon utopie, mon présent, ma fille, et dont je ressors à chaque fois gaiement émeu, et si fier d’avoir connu tout cela.
Il faut savoir que ce triple album sera ma dernière étincelle de lumière. Avant que le Diable vienne me chercher pour fumer mon présent. J’ai entamé une descente aux Enfers, perdant énormément de notions et d’illusions avec fracas, et Virginie n’était pas assez forte pour venir me chercher. C’est le 30 Décembre que j’ai découvert « Miami », lors d’une nuit blanche, chez un ami. J’ai été très très déstabilisé, et surtout inquiet personnellement pour Damien Saez. Aujourd’hui, même si objectivement l’album est bourré de défauts, j’ai appris à le connaitre et à l’aimer. Mais il y a une large part de subjectivité : lorsque j’étais à l’infirmerie après ma tentative de suicide, je l’avais réécouté. Overdose de désespoir, en Février 2016. Je suis allé en hôpital psychiatrique pendant trois semaines et demi. Là aussi Damien m’a énormément aidé à surmonter mes Démons (même si la plus grosse bataille contre eux, je l’ai faite avec Léo Ferré). A l’exception de « Varsovie », tous les albums ont apporté leur appui. Depuis, quand j’écoute « No More », je repense à cette incarcération sans certificat pénitencier, et je sais que c’est là-bas que j’ai tout perdu sentimentalement. A trop jouer avec les flammes… Nous sous-estimons énormément la réinsertion. Bien que Virginie et ses amies m’aient beaucoup soutenu à ma sortie, je me suis très vite retrouvé dominé par ma colère de ne pas avoir été écouté, croyant désormais uniquement en ma solitude. Là encore « Messina » m’a empêché de devenir fou. La découverte de la discographie de Saez s’y arrêta, dans une fureur furieuse d’être moi, telle qu’il est lui aussi dans le refrain de « Miami ».
Jusqu’à Juin 2016, à cause de mon amitié avec une fille de l’hôpital, Virginie devint de plus en plus jalouse, jusqu’à en perdre les pédales. En effet, même si elle comme moi sommes incapables de trouver une explication indiscutable à ce sujet, elle refoulait tellement ses sentiments pour moi que ça a fini par devenir une torture pour elle. Le refoulement s’expliquait déjà par le fait que je n’ai rien d’un prince charmant, comme elle s’y prédestinait, mais également qu’elle avait cru tomber amoureuse avant moi, alors qu’au final ce n’était que des tentatives de se mettre en couple (pour preuve le fait qu’elle n’y croyait jamais vraiment et qu’elle me préférait toujours à eux). On peut également dire qu’elle avait trop peur de me perdre… Et puis, ça a pris des proportions insupportables, la relation malsaine. Elle pétait un plomb pour un oui ou pour un non, il suffisait que je fasse ou dise quelque chose qui n'allait pas vers son sens.
Début Juin, je passe mon concours d’entrée pour l’école de cinéma Esra, à Rennes. Je réalise alors un vieux rêve, car je suis sélectionné. Elle pète une durite (toute séparation devenant diabolisation, à court ou long terme, justifié ou non). Je me pose alors la question, à l’allure prétentieuse et horrible, mais malheureusement lucide : comment fera-t-elle pour vivre quand je ne serai plus là ? Et croyez-moi qu’au vu des conditions, j'ai eu peur pour elle. Le 16 Juin, Saez annonce son retour. Je décide de me séparer d’elle ce jour-là. Je ne sais plus aujourd’hui si j’avais le choix ou non… Mais je pense que, pour son bien-être et son équilibre à l’avenir, c’était ce qu’il fallait faire. En retour, je faisais un acte kamikaze et acceptais de perdre la seule personne que j’aimais autant que le cinéma, ma fille, l’un des quelques cadeaux que la Vie m’aura offert. Je l’ai fait, espérant que Saez viendra me secourir. Et c’est ce qu’il a fait : il annonça son projet Le Manifeste par un court-métrage majestueux, beau à chialer. Grâce à lui, à ses promesses, j’arriverai à surmonter ma peine.
Au cours de l’année 2017, je l’ai vue évoluer de loin. Elle s’était trouver un copain, son premier sérieux à 100%, mais elle gardait encore des signes amoureux. Notre seul baiser a d’ailleurs eu lieu à cette période : lorsque je l’ai prise dans mes bras avant les vacances, elle aura cessé de réfléchir sur nous, et elle s'est laisser emporter par désir. Si ça avait été comme ça dès le départ… « L’oiseau Liberté » est le premier album de Saez où j’assiste à sa sortie (« A Lovers Prayer » étant introuvable physiquement, on peut dire que je l’ai découvert en mode puzzle informatique). Je l’écoute pour la première fois chez ma mère. Le disque ne porte pas l’odeur de Virginie, mais porte l’odeur de l’affirmation de mon identité solitaire, notamment via « Les enfants Lune ». Vers Février, il diffuse « Château de brumes », et je suis particulièrement touché : il l’a sortie un an pile après ma tentative de suicide, et le texte possède un sens caché parlant des hôpitaux de repos (Saez a fait une thérapie là-bas). Forcément, j’ai une relation forte avec le morceau. C’est davantage « Lulu », comme album, avec lequel j’ai une relation rapprochée. C’est le seul Saez que j’ai vraiment décortiqué et découvert à Caulnes : la première fois que je l’ai écouté, sur les ardoises de ma fenêtre, j’ai passé la nuit entière à repasser les trois disques, 2 jours après l’avoir vu en concert à Nantes. L’écoute de « Notre-Dame Mélancolie » et « Si » m’avaient particulièrement troublé, parce qu’outre leur qualité, les nuages avaient révélé progressivement la pleine clarté de la pleine Lune, réalisant un rendu vraiment mystique à l’ensemble… Ce triple, c’est vraiment le Requiem de mes années lycée pour moi. Quand j’écoute le thème de « Lulu », je vois Virginie perdre sa magie originelle et rentrer dans le rang des gens bien ordonnés, je revois ma Virginie à moi partir à jamais et s’enfermer dans mon cœur, à hurler son appel encore et toujours de la boisson, énergisante ou alcoolisée. Quand j’écoute « Thème Mélancolie », c’est mon Caulnes que je vois disparaître. Aujourd’hui, quand je suis très déprimé par quelque chose qui m'étouffe de solitude, et que j’ai besoin d’entendre quelqu’un « me ressentir », j’écoute ce triple album : le premier disque me console, le deuxième me porte, le troisième me fait pleurer doucement. Et après, je vais mieux. L’écoute des albums Saez revêt pour moi presque de cérémonies solitaires, en somme. « Humanité » est le premier disque que j’ai écouté après mes années lycée, à Rennes, dans mon appart’ près de l’ESRA. Plus de Virginie, plus de Caulnes, à part une légère évocation avec « L’attentat ». Et outre la qualité moyenne du disque, au sein d’un Manifeste qui n’a pas réussi à conserver ses promesses, quelque chose était réellement perdu…
Virginie, il me faudra sans doute des traversées en millénaires pour retrouver une étoile aussi unique que toi. T’avoir connu est ma fierté et ma damnation : j’en suis fier ! Voué à rêver de tes anciennes chimères, ressentant nos ruines à chaque futilité et à chaque Pourquoi, tu resteras la plus belle chose qui ne me soit arrivé pour le moment.
Parce que tu es l’Unique, parce que je t’ai donné l’Unique, et ce
temps au bord de la seule invention de l’Homme : la Douleur ! Léo Ferré
Le Manifeste prend fin dans des flammes anarchiques. « Le dernier disque », prévu pour fin 2016, et « A Dieu », prévu pour Mars 2019, prendront finalement le nom de « Ni Dieu Ni Maître », fin Novembre, sur 4 disques mêlant chansons des trois précédents opus et 24 nouvelles chansons. Je précise qu’à elles seules, ces 24 titres durent 2 h 30, l’équivalent de « Messina ». Le tout dure 4 heures. « Une fresque sociale », comme l’a très bien dénommée Damien. Mais c’est aussi bel et bien sa cathédrale promise : la voilà. Écrasante, résumant à elle seule tous les messages du Manifeste quitte à frôler l’overdose, au style baroque. Je ne peux pas extirper la sortie de cet album de son contexte, à savoir une tournée marquée par de nombreux événements. Après une première date à Brest assez chahutée (Damien a encore grossi et ça fait pavoiser), il reprend goût à la scène à Rennes. J’y étais. Malheureusement, j’avais vraiment déconné niveau alcool avant de rentrer, et si j’ai évité un maximum à déranger les gens autour de moi avec mon vomi sur le manteau, j’ai conservé néanmoins un souvenir indélébile plus précieux : celui d’avoir vu Damien croiser mon regard, et dresser le poing avec moi en me souriant, puisque j’étais le seul dans mon coin à le faire. J’étais pas peu fier ^^ . Une autre date, un imbécile crie « Allez Macron ! » sur « Jeunesse lève-toi », ce qui gave Damien ; à Grenoble, il enflamme la salle ; sur culture-contre-culture, il publie une charte contre les photos et vidéos de la tournée, que je trouve très discutable (c’est ça ta résistance numérique ?). Clermont-Ferrand, les choses prennent une autre tournure. Damien a un malaise sur scène, après trois chansons. Ses problèmes de santé viennent de dévoiler leur sévérité : un artiste extrême comme Saez, capable de faire 4 heures de concert, ne pouvait pas se plier juste pour une grippe. Le surlendemain, il a fait Bercy, la plupart du temps assis sur un trône. Tout le monde est d’accord pour dire qu’il a assuré, même avec une voix forcément très fragilisée. Nous assistions à un acte Brelien : même avec une santé jouant avec la Mort, toujours debout juste pour le plaisir de donner. Mais Brel n’était pas seul, il n’avait pas non plus échangé sa vie contre les chansons… Il fait reporter la date de Clermont-Ferrand. Mais à Lyon, il n’y arrive plus. Evidemment, il continue de picoler et fumer comme un pompier sur scène, et il apparaît de plus en plus usé. Il termine le concert sur « J’veux qu’on baise sur ma tombe », après 2 h 45 de scène, et après un remerciement chaleureux à son public, un roadie vient lui prendre le bras pour l’aider à rentrer dans les coulisses. Le lendemain, claque pour tout son public : les trois dernières dates, dont Nantes et Tours, sont annulées pour raisons médicales.
Si je parle de cela, c’est parce que la fatigue extrême de Damien et la qualité de ce quadruple se font miroir. J’avais immédiatement pensé à la fin de ma critique sur « Lulu », où je confiais espérer qu’il arrêterait. Aujourd’hui, je le souhaite plus que jamais pour lui. Cette fatigue extrême, qui se débat malgré tout, physique comme psychologique, est le moteur du quadruple. Mais pas pour son aspect compile ! Moi aussi au début je me disais « Sans déconner ?? », et puis on a tous été cons à ce sujet : y’a tellement d’artistes qui sortent des compilations, dont les meilleurs bien sûr, pourquoi lui n’aurait pas le droit de le faire, d’autant plus que cela se fait dans un cadre précis et avec 24 nouvelles chansons ?
Je savais que ce disque serait très spécial. Je viens de terminer mes cours théoriques de l'ESRA, mes derniers cours tout court, le plongeon vers le monde professionnel sous mes pas.
Je voulais absolument l’écouter dans les Cotes d’Armor, sans revenir à Caulnes, puisque désormais plus personne ne m’y attend : ça aurait été comme payer 16 euros pour aller voir une tombe et marcher dans le cimetière toute la nuit. J’ai choisi Quévert, village à même pas 2 minutes de Dinan. Toute la nuit, j’ai marché avec ce disque. Let’s Go (enfin !) !
Pour les titres préexistants, y’aura 3 barèmes : Pas Cool – Cool – Très Cool.
Le premier disque ! « Humanité » : Très Cool. « Mon Européenne » : Très Cool. "Je suis" : Très Cool. "Mon Terroriste" : Très Cool. « Manu dans l’cul » est une chanson qui a une forte intention populaire-révolutionnaire, du genre à être entonné dans la rue et diffusée à fond dans les manifs. Je trouve que dans ce contexte, il devient très efficace, il donne envie de reprendre ses vers qui n’ont aucune envie d’être subtils. Alors que « Ni Dieu Ni Maitre » sort en pleine grève générale contre la honteuse réforme des retraites, symbolisant l’enculade de trop par ce quinquennat, le titre prend encore une dimension rassembleuse autour d’une cible commune. Même le passage « discours », qui m’a grave ramené à « Peuple Manifestant », donne du baume au cœur, et de toute évidence c’était le but. « J’envoie » : Pas Cool (présence injustifiée pour moi dans la compile, ça aurait été beaucoup mieux de prendre « La belle au bois » !). « P’tite Pute » : Pas Cool (pareil ; certainement le pire morceau de Saez). « Camarade Président » est, avec « Manu dans l’cul », une des deux chansons sur ce premier disque qui était présente sur le EP Numérique « Libertaire », dédié aux Gilets Jaunes et regroupant les chansons les plus anarchisantes du quadruple (les autres étant sur le deuxième disque de Ni Dieu Ni Maître). « Camarade Président » est ma préférée de ceux-là. C’est la moins fleuve, la moins fouillis, et va droit au but. Pourtant, rythmiquement, on dirait presque du hip-hop : c’est une boucle tournée à l’infini, on aurait pu rajouter un rythme rap que ça aurait super bien marché ! Mais cette boucle est magnifique, le texte tellement juste (Quand les réseaux sociaux ne servent qu’aux insultes /
Qu’à la pensée châtiée, au profit de l’inculte, putain ça fait du bien de l’entendre dire !) et l’interprétation très forte.
Deuxième disque. Il s’ouvre sur « Libre ». Chanson très, très, TRÈS acoustique. En fait, elle aurait pu être a capelle, ça ne changerait pas grand-chose. La musique est tellement discrète et faible (même sous-mixée, c’est un choix très bizarre !) que les paroles prennent toute la place. Autant sur « Varsovie » la musique était minimaliste mais contenait des accords marquants et guidant les passages, autant là… C’est vrai que le texte est beau, mais c’est toujours du recyclé malheureusement… Précision d’ailleurs : le terme « médiocratie » est une référence à Hubert Félix-Thiéfaine, pour sa chanson éponyme. « Liberté », qui la complète visiblement, est beaucoup plus convaincante. Malgré l’allusion à l’abonnement numérique payé, je le trouve vraiment gonflé de critiquer ça alors que culture-contre-culture a fait payer 60 boules inutilement lors de l’année 2018 ! C’est surtout l’interprétation qui m’a empoigné. Damien est essoufflé par lui-même et par ses envies de liberté absolue éternellement insatisfaites. Tu sens aussi qu’il n’en peut plus de la politique française actuelle. Je trouve ça donc intéressant qu’il se rallie musicalement au mouvement Gilets Jaunes via des chansons très intimes (à l’exception de « Manu dans l’cul »). Je trouve ça aussi, du coup, extrêmement dommage qu’il n’ait jamais été vu participant à leurs côtés dans les rues, parce que forcément cela donne un côté moins authentique ou crédible à ses chants révolutionnaires… « Contestataire » souffre de ça par exemple. La musique est vraiment intéressante, avec un accordéon très agréable, mais là il ne parvient pas à se renouveler niveau texte avec les deux d’avant. Là, c’est la musique qui rattrape le coup. Mais pour « L’enfant de France », j’ai pas pu faire grand-chose : overdose de termes sur-répétés. Ça a toujours été un défaut chez lui, et c’était parfois justifié sur des albums comme « L’oiseau Liberté » où le mot Frère était répété jusqu’à ce qu’on se l’inculque. Mais « L’enfant de France », malgré son titre prometteur, est poussif, et pas à la hauteur du message qu’il aurait voulu faire passer. « Burqa » : Pas Cool. Le plus gros What en terme de présence pour une œuvre censée résumer plusieurs années de création : non seulement ça coupe l’élan d’ambiance, mais surtout reprendre « Les enfants Lune » ou « P’tit bout de Paradis » n’aurait pas été plus représentatif ? La première moitié du disque 2 subit vraiment des choix hasardeux, principalement poussés par un épuisement palpable. « Ma Religieuse » revient relancer : Très Cool. « Nonne ou putain » est le premier chef d’œuvre des nouvelles chansons, celle qui rend bien con tous ceux qui accusaient Damien de misogynie crasse. Très bel hymne à la beauté féminine, agrémentés de « Que je t’aime » touchants, avec des arrangements de plus en plus bouleversants, et le vers le plus important et véridique du quadruple : Puisque la Femme est Dieu sur Terre ! Un grand moment, particulièrement remarquée à Bercy d’ailleurs. « Les enfants Paradis » : Cool. « La Dame en Feu version Longue » : j’attendais vraiment de savoir ce que Damien voulait dire. Je savais que le sujet lui tiendrait particulièrement à cœur, et le texte me donne raison (ça va même un peu trop loin à mon goût). Et… Je me suis fait chier comme un rat mort, sans déconner. 7 minutes de phrases qui ne t’accrochent jamais, pour une mélodie sans inspiration. En plus, il remet sur le tapis le fait que les pompiers n’ont pas aspergé le Monument depuis le ciel : les fondations se seraient évidemment davantage écroulés. C’est d’autant plus inquiétant comme mentalité complotiste lors des catastrophes que Donald Trump lui-même avait fait la même réflexion… Moralité : l’Homme toujours est l’assassin, oui de sa propre Éternité. Orgue. Comme un écho du thème de « Amis de Liège », mais en plus religieux. C’est vraiment touchant, mais c’est une musique super glauque. Même pour du Saez, c’est dire. « Tous les gamins du monde » : Très Cool.
Le troisième disque est vraiment le meilleur du lot. « La province », acoustique toujours aussi simple, marche par la sincérité de son propos. La mention des villes, de ce qui les anime, animent un propos surlignant encore l’insoumission nécessaire. Très beau moment. « Ma Populaire » aurait mérité d’être raccourcie, mais c’est globalement un bon cru. J’avais alors remarqué qu’il s’était vachement calmé en anaphores après « Humanité » : les textes sont beaucoup plus denses, et leurs amorces ne sont plus aussi répétés. Tant mieux ! « Germaine » est un retour au gros rock… et c’est le dernier des nouvelles. On est vraiment dans une atmosphère baignée dans la chanson française : plus que jamais, Damien veut devenir un troubadour à textes comme ses modèles, quitte à cacher de plus en plus ses racines rock. C’est dommage, parce que « Germaine » est vraiment démente ! Par contre, je trouve que l’interprétation du texte comme l’insoumission d’un personnage féminin est faussé : ce type de femme est davantage à chercher vers Marguerite ou Alice. Ici, je comprends davantage une femme qui veut crever de vivre, mourir de ses excès, n’ayant rien à foutre de rien, et ça n’a rien d’insoumis : c’est suicidaire. C’est ce qui fait la force de ses paroles d’ailleurs, et son crescendo enfiévré colle parfaitement aux pulsions du personnage. « A tes côtés » reprend la partition batterie de « Les échoués », et même un peu de son inspiration musicale. Mais on s’en tape. Le texte est magnifique, le refrain envoûtant (toujours en grande partie due à la destruction personnelle perceptible du chanteur), et la musique très « remplie » comparée aux acoustiques du deuxième disque. Sa passion pour l’amour et sa fidélité à ses ex est vraiment magnifiquement retranscrite. « Bonnie » : Cool. « Lulu » : Très Cool. « Ma Vieille » : je crois qu’avec « Petrushka », c’est ma chanson préférée parmi les nouvelles. Pour ramener à moi encore une fois, ma mère est malheureuse depuis des années à cause du pervers narcissique qui me sert de beau-père. Et depuis ce mois-ci, mes sœurs ne vont plus la voir, l’ambiance devenant irrespirable… Mort à crédit, déjà prédit, d’avance vieillie. Du coup oui, les vers Je vois dans tes yeux comment t’étais avant, je pense à ma maman vaincue par l’enculé qui me sert de beau-père, et les autres me ramènent à mes silences déjà pleins de pitiés empathiques avec elle. Mais non seulement le texte est spécialement juste, beau à chialer et régulièrement renversant, mais la musique également se différencie radicalement de toutes les autres composées auparavant par Saez : intro à la pendule et aux craquements avec a capella, guitares très graves avec 3 accords, structure théâtrale… Très surprenante, et vraiment grandiose. « Jojo » a surpris plus d’un : un hommage à Johnny Halliday par Saez ? C’est pas tellement étonnant pourtant. Déjà parce que Johnny avait contacté Damien au début de sa carrière pour qu’il lui compose un album (il avait refusé), mais surtout parce qu’on a peu de rockers crédibles en France et qui n’aient pas vu leurs carrières se fracasser avant leur vieillesse. Qu’on l’aime ou non, personne n’était préparé à sa mort, et je comprends tout à fait que désormais Saez se sente bien seul… Très bel hommage au piano, avec des paroles toujours justes, et une voix au bord des larmes. « Ma Gueule » : Cool. « Il s’endort » est long et dense, avec une magie dans sa simplicité. C’est la description d’un bonheur simple, d’une attente qui ne vient pas, et sans doute d’une poésie enfantine perdue. Trop étalée, la chanson garde un charme de portrait en paysage qu’est vraiment pas dégueu.
Le quatrième disque commence avec un très long hommage (le troisième du quadruple, sans compter les Gilets Jaunes !) au grand-père maternel de l’artiste, Mohammed. En terme de construction, il me fait penser à un Brassens en mode Requiem. Le texte est là encore bouleversant, et très vivant. J’y ai laissé une larme : nous avons tous un Mohammed dans nos cœurs. « Mandela » est lui aussi très beau, avec à nouveau un crescendo musical efficace, notamment au niveau des cordes discrètes. De plus, avec des noms plutôt méconnus, il appelle pas mal à la curiosité culturelle, je trouve ça cool ! « La Maria » et « Petrushka » sont pour moi un Diptyque, avec le même archétype de femme, la Madeleine de Brel. OK, dit comme ça, c’est plagiat. Mais Saez se réapproprie totalement cette figure, pour la Soviétiser, et surtout la Polkaliser. C’est à la fois froid et dansant, on alterne le capella (la voix au bord du suicide comme jamais, sérieux) et les rythmes tourbillonnants, sans parler de son interprétation complètement transfigurée… L’orchestre derrière le suit dans ses délires romantiques avec l’excès lyrique adéquat. Ma préférence revient quand même à « Petrushka », pour sa dimension hivernale assez impressionnante, mais surtout pour sa partie instrumentale. Elle s’ouvre sur un léger chant à boire (qu’il entonne depuis 2017 en concert pour « Betty » … Sacré Damien), avant de virer à la Polka triste qui s’anime de plus en plus furieusement. Jouissance pure, bonheur blanc. « Ma magnifique » est très belle, mais je trouve qu’elle aurait pu être encore mieux. Elle aurait gagné à respirer plus entre les vers, peut-être. Elle reste d’un romantisme sans nom, et rassure sur les facultés personnelles de Saez à aimer ! « Anatoline », description d’un amour lesbien mal vu par les institutions (c’est vrai que ça fait un moment que j’ai pas placé le mot Insoumission) : le texte n’a rien de très compliqué, il est sûrement spontané, mais les arrangements qui confronte guitare électrique intimiste, pédale neurasthénique et piano un brin atonal font un rendu très original, et le principal intérêt d’un morceau qui ne me déçoit pas. La solitude suinte de partout sur ce quadruple album, et je pense honnêtement que malgré la présence des morceaux rock d’antan, il est encore plus triste que « Varsovie », parce que sur « Varsovie », tu le sens frapper sa guitare quand il s’agit de faire danser les doigts… « Notre-Dame Mélancolie » : Très Cool. « La Dame en feu » : Hin Hin Hin. Tu te fous de moi là ? Même avis que la version longue, mais avec une incrédulité encore plus profonde. Damien, tu pouvais prévoir que, pour les gens comme moi qui n’appréciaient pas la chanson, la présence d’une autre version, bien que plus courte, pouvait engendrer soupirs de découragements ? Et quel intérêt putain ?? « Thème Introduction à l’œuvre » : je m’attendais, comme d’autres, à ce que ce soit la musique du court-métrage qui a ouvert le Manifeste. J’en aurais été extatique ; dans ma campagne de Quévert, sous la pleine Lune, les cheveux dans les étoiles, j’étais prêt à pleurer d’émotion. Et on se retrouve avec un thème très réarrangé. Sacré Damien, toujours le mot pour rire ! Malgré que cela ne soit pas aussi beau que la version court-métrage (en même temps, aurions-nous vraiment retrouvé l’émotion originelle ?), le fait de mettre en valeur une mélodie à la contrebasse aussi belle, suivi d'une violoncelle tragique, sur des cordes qui se tiennent malgré des pauses trop récurrentes selon moi, est un acte musical de toute bôté. « S’ils ont eu raison de nous » a été enregistrée dès 2017, et je me doutais qu’elle serait présente sur le dernier disque. Voilà pourquoi je ne l’ai découverte que maintenant (quel homme, je sais je sais), car vous aurez compris que la première écoute d’un disque de Saez ne se déroule pas à la légère pour moi. Bien évidemment au piano, Damien dit Au Revoir. Forcément, pour tout amateur de Damien (d’ailleurs, c’est impératif pour écouter ce quadruple, sinon il vous sera totalement indigeste : il a été conçu POUR les fans), c’est particulièrement propice aux larmes. La mélodie, la voix, les paroles, tout suinte un Adieu inévitable, que le chanteur se force un peu à faire. Tellement à bout de tout, et c’est tellement audible… Un grand moment, trop rare chez les artistes. « L’humaniste » : Cool. Et rien à foutre en position de conclusion. Avec « Je suis » et « Mon terroriste », c’est la troisième chanson à apparaître littéralement sur 3 galettes de Saez. C’est trop ? Oui. D’autant plus que « L’humaniste » est positionnée n’importe comment sur « Lulu » et « Ni Dieu Ni Maître » …
Alors, verdict ?
Vers 2 heures du matin, en mangeant mon sandwich sous la Lune, j’ai profondément réfléchi là-dessus. L’Adolescence toujours est l’assassin, oui de sa propre Evolution : la mélancolie addictive de jeunesse, dont Damien n’a jamais pu (et surtout jamais voulu) se débarrasser, a conduit à ce quadruple. On a vraiment là l’œuvre d’un homme qui se brûle littéralement, à travers nos enceintes, pour essayer de retirer de la beauté dans des choses qu’il observe bien plus qu’il ne les vit. Bien sûr, cela rend bel et bien une cathédrale, que je vais prendre le temps dans les mois qui viennent à mieux connaitre, comme pour les autres. Bien sûr que c’est Grand. Mais, pour moi, Damien résume mon adolescence, mes années lycée, mon âge d’or imaginaire : je n’arrive plus à l’écouter comme je l’écoutais à l’époque. « Ni Dieu Ni Maître » me dit ce qu’elle deviendra si je ne change pas de mode de vie et d’angles d’intérêts.
Ce quelque chose de réellement perdu, c’est le Rêve.
J’ai rêvé ; maintenant, il faut tenter de vivre de ce qui m’a traversé durant mes rêves. Désormais, ce sera la lutte pour elles, mais ce ne seront plus elles qui domineront ma vie, tout simplement pour manger et aimer.
Damien, je n’ai aucune honte à te le dire, je t’aime. Tu es le grand frère que j’aurai aimé avoir, tous les détracteurs ne le comprendront jamais, et quelques parts c’est tant mieux pour eux. A moi comme à tant d’autres, tu nous as apporté un mal-pensant, ayant enfin les couilles dont cette époque manque cruellement. Je t’aime avec tes qualités et tes défauts (je n’ai jamais accepté ta manière de manière de parler aux techos en Live…). Je sais que, quoi qu’il m’arrive, ta rage animale me fera moins sentir seul.
REPOSE TOI BORDEL. ET MÊME, DANS MES ESPOIRS LES PLUS FOUS, ARRÊTE, ET PREND SOIN DE TOI.
Merci pour tout.
Hôpital en cavale
Chevaux fous dans la nuit
Trajectoire épéhémère
C’est mort, et c’est tant pis ! Damien Saez